Poésies | Page 9

Isidore Ducasse
Il serre de près la
phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la
remplace par l'idée juste.
Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas à être corrigée. Elle
demande à être développée.
Dès que l'aurore a paru, les jeunes filles vont cueillir des roses. Un
courant d'innocence parcourt les vallons, les capitales, secourt
l'intelligence des poètes les plus enthousiastes, laisse tomber des
protections pour les berceaux, des couronnes pour la jeunesse, des
croyances à l'immortalité pour les vieillards.
J'ai vu les hommes lasser les moralistes a découvrir leur coeur, faire
répandre sur eux la bénédiction d'en haut. Ils émettaient des
méditations aussi vastes que possible, réjouissaient l'auteur de nos
félicités. Ils respectaient l'enfance, la vieillesse, ce qui respire comme
ce qui ne respire pas, rendaient hommage à la femme, consacraient à la
pudeur les parties que le corps se réserve de nommer. Le firmament,
dont j'admets la beauté, la terre, image de mon coeur, furent invoqués
par moi, afin de me désigner un homme qui ne se crût pas bon. Le
spectacle de ce monstre, s'il eût été réalisé, ne m'aurait pas fait mourir
d'étonnement: on meurt à plus. Tout ceci se passe de commentaires.
La raison, le sentiment se conseillent, se suppléent. Quiconque ne
connaît qu'un des deux, en renonçant à l'autre, se prive de la totalité des
secours qui nous ont été accordés pour nous conduire. Vauvenargues a

dit «se prive d'une partie des secours.»
Quoique sa phrase, la mienne reposent sur les personnifications de
l'âme dans le sentiment, la raison, celle que je choisirais au hasard ne
serait pas meilleure que l'autre, si je les avais faites. L'une ne peut pas
être rejetée par moi. L'autre a pu être acceptée de Vauvenargues.
Lorsqu'un prédécesseur emploie au bien un mot qui appartient au mal,
il est dangereux que sa phrase subsiste à côté de l'autre. Il vaut mieux
laisser au mot la signification du mal. Pour employer au bien un mot
qui appartient au mal, il faut en avoir le droit. Celui qui emploie au mal
les mots qui appartiennent au bien ne le possède pas. Il n'est pas cru.
Personne ne voudrait se servir de la cravate de Gérard de Nerval.
L'âme étant une, l'on peut introduire dans le discours la sensibilité,
l'intelligence, la volonté, la raison, l'imagination, la mémoire.
J'avais passé beaucoup de temps dans l'étude des sciences abstraites. Le
peu de gens avec qui on communique n'était pas fait pour m'en
dégoûter. Quand j'ai commencé l'étude de l'homme, j'ai vu que ces
sciences lui sont propres, que je sortais moins de ma condition en y
pénétrant que les autres en les ignorant. Je leur, ai pardonné de ne s'y
point appliquer! Je ne crus pas trouver beaucoup de compagnons dans
l'étude de l'homme. C'est celle qui lui est propre. J'ai été trompé. Il y en
a plus qui l'étudient que la géométrie.
Nous perdons la vie avec joie, pourvu qu'on n'en parle point.
Les passions diminuent avec l'âge. L'amour, qu'il ne faut pas classer
parmi les passions, diminue de même. Ce qu'il perd d'un côté, il le
regagne de l'autre. Il n'est plus sévère pour l'objet de ses voeux, se
rendant justice à lui-même: l'expansion est acceptée, Les sens n'ont plus
leur aiguillon pour exciter les sexes de la chair. L'amour de l'humanité
commence. Dans ces jours où l'homme sent qu'il devient un autel que
parent ses vertus, fait le compte de chaque douleur qui se releva, l'âme,
dans un repli du coeur où tout semble prendre naissance, sent quelque
chose qui ne palpite plus. J'ai nommé le souvenir.

L'écrivain, sans séparer l'une de l'autre, peut indiquer la loi qui régit
chacune de ses poésies.
Quelques philosophes sont plus intelligents que quelques poètes.
Spinoza, Malebranche, Aristote, Platon, ne sont pas Hégésippe Moreau,
Malfilatre, Gilbert, André Chénier.
Faust, Manfred, Konrad, sont des types. Ce ne sont pas encore des
types raisonnants. Ce sont déjà des types agitateurs.
Les descriptions sont une prairie, trois rhinocéros, la moitié d'un
catafalque. Elles peuvent être le souvenir, la prophétie. Elles ne sont
pas le paragraphe que je suis sur le point de terminer.
Le régulateur de l'âme n'est pas le régulateur d'une âme. Le régulateur
d'une âme est le régulateur de l'âme, lorsque ces deux espèces d'âmes
sont assez confondues pour pouvoir affirmer qu'un régulateur n'est une
régulatrice que dans l'imagination d'un fou qui plaisante.
Le phénomène passe. Je cherche les lois.
Il y a des hommes qui ne sont pas des types. Les types ne sont pas des
hommes. Il ne faut pas se laisser dominer par l'accidentel.
Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la
philosophie de la poésie. La philosophie, ainsi comprise, englobe la
poésie. La poésie ne pourra pas se passer de lu philosophie.
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