Poésies choisies de André Chénier | Page 9

André Chénier
retard. Il est plus grec que latin. Les petites pièces font songer aux frises, aux groupes légers, sans profondeur, sans vigoureux relief... mais d'un dessin net, d'une précision élégante. Dans les _élégies_, on retrouve la rhétorique laborieuse, la fadeur, l'abus de l'esprit, tous défauts du temps. Il a été créateur en fait de style. Les Idylles et les fragments épiques sont d'une nouveauté et d'une fra?cheur merveilleuses. Le principal mérite de cette langue est la qualité du son. Il a le secret des vers 'amis de la mémoire,' comme dit Sainte-Beuve, et c'est 'parce qu'ils sont amis de l'oreille.' En versification, pour la liberté des coupes, il remontait à la Pléiade. L'abus rapproche parfois ses vers de la prose.--C'est un isolé.
[Footnote 35: _Le XVIIIe siècle_, par E. Faguet, Paris, Lecène et Oudin, 1890.]
Pour Haraszti[36], il n'a imité que les poètes de la décadence grecque, ou même plut?t les imitateurs romains de la poésie alexandrine. 'Il transforme inconsciemment tous ses emprunts selon le go?t de son temps.' Le critique voit une trace de l'esprit gaulois dans le sensualisme, c'est-à-dire le caractère érotique de sa poésie. André Chénier a la sentimentalité du XVIIIe siècle. Il ne se défend pas assez de la mignardise. Ses paysages, il va les chercher dans les parcs. Il est le poète de l'art pur. Le critique n'est pas tendre pour Chénier. Il lui reproche son absence d'originalité et son excès d'imitation. Il fait une analyse sévère de sa langue, de sa versification, de ses procédés de style.
[Footnote 36: _La poésie d'André Chénier_, par Jules Haraszti, professeur à l'école-réale du VIe arrondissement de Buda-Pest; traduit du Hongrois par l'auteur, Paris, Hachette, 1892.]
Pour Brunetière[37], André Chénier est un homme de la fin du XVIIIe siècle, admirateur de Buffon et contemporain de Parny. Seulement il se sépare de son époque par ses rares qualités d'artiste.
[Footnote 37: _Le XVIIIe siècle_, par E. Faguet, Paris, Lecène et Oudin, 1890.]
Pour P. Morillot[38], c'est un grand artiste, un Ronsard moderne, avec plus de go?t, plus de science, et l'expérience de Boileau et de Voltaire.
[Footnote 38: _André Chénier_, par Paul Morillot, Paris, Lecène et Oudin, 1894 (Classiques populaires).]
Pour Louis Bertrand[39], c'est un dilettante, avec le sens esthétique plus développé que le sens poétique. Il a le go?t du dessin, même de la couleur. C'est un dilettante à qui le don de l'invention a manqué; un humaniste opprimé par ses souvenirs classiques.
[Footnote 39: _La fin du classicisme et le retour à l'antique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et les premières années du XIXe en France_, par Louis Bertrand, Paris, Hachette, 1897.]
Pour Henri Potez[40], il y a dans les _élégies_ du Dorat, du Parny, du Bertin, et une inspiration plus sincère dans les passages où André Chénier chante l'amitié que dans sa note amoureuse.
[Footnote 40: _L'élégie en France avant le Romantisme, de Parny à Lamartine_ (1778-1820), par Henri Potez, Paris, C. Levy, 1898.]
Pour Petit de Julleville[41], les Bucoliques sont 'des récits pathétiques enfermés dans un cadre antique.'
[Footnote 41: _Histoire de la Langue et de la Littérature fran?aises_, par Petit de Julleville, Paris, A. Colin, 8 vol. (t. vi, 650-78, par Petit de Julleville).]
Pour Brunetière[42], que nous retrouvons jugeant André Chénier, André Chénier est artiste, dilettante, autant que poète: idées ou sentiments n'ont pour lui de valeur que revêtus d'une forme somptueuse. Il a contribué à la déformation de l'idéal classique[43]. C'est 'un Ronsard qui aurait lu Voltaire, Montesquieu, Buffon.'
[Footnote 42: Revue des Deux Mondes_, 15 mars 1898. Classique ou Romantique?_ (non signé).]
[Footnote 43: _Manuel de l'histoire de la littérature fran?aise_, par F. Brunetière, Paris, Delagrave, 1898 (pp. 367-72, 375-9).]
On a vu comme avait été successive et échelonnée sur de longues années la révélation de l'oeuvre d'André Chénier. En 1874 seulement avait paru, donnée par le détenteur des manuscrits, l'édition qu'on pouvait croire complète et définitive. Mais l'on sait aussi combien cette oeuvre laissée en portefeuille était demeurée fragmentaire.
Or, l'éditeur de 1874 n'avait pas publié tous les fragments. Sa veuve, qui était restée en possession des manuscrits, les légua à sa mort à la Bibliothèque Nationale avec cette clause qu'on ne pourrait les consulter qu'en 1899. Cette date venue, M. Abel Lefranc exhuma ces reliques. Ce furent d'abord des fragments d'une Histoire générale des Littératures rêvée par A. Chénier[44], puis une oeuvre politique et sociale, intitulée Apologie[45], enfin des Notes philologiques et littéraires sur la littérature chinoise, des fragments sur l'histoire du christianisme, des projets et plans de poésies et des 'quadri[46].'
[Footnote 44: Revue de Paris, 19 octobre, 1er novembre 1899. OEUVRES INéDITES D'ANDRé CHéNIER. SUR LA PERFECTION DES ARTS, publié avec un avant-propos, par M. Abel Lefranc.]
[Footnote 45: _Revue bleue (Revue politique et littéraire)_, 5 mai 1900. APOLOGIE; UNE OEUVRE INéDITE D'ANDRé CHéNIER, publiée par M.A. Lefranc.]
[Footnote 46: _Revue d'Histoire littéraire de la France_, avril-juin 1901. FRAGMENTS INéDITS D'A. CHéNIER, publ. par A. Lefranc.]
En 1902

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