l'Arno, musicienne et peintre, femme d'un miniaturiste anglais, qu'il rencontra dans l'hiver de 1785-6 et qui fut la belle D. R. des élégies. Il aima et il fut aimé. Car, malgré qu'il f?t fort laid, avec sa tête énorme, ses cheveux rares sur le devant, son teint bilieux et olivatre, ses traits gros, ses yeux petits, il avait de la vivacité dans le regard, bref, il était 'rempli de charmes.' C'est une femme, Mme Hocquart, qui nous le dit. Nous avons aussi le rapport d'un homme, Lacretelle, qui le vit plus tard à la tribune des Feuillants et fut frappé de l'impression de force qui se dégageait de cette figure 'athlétique.' La fougue que Lacretelle lui vit à la tribune, André Chénier dut l'avoir en amour. Cela para?t assez dans ses élégies et, s'il s'y montre parfois sensuel et mignard, comme les élégiaques de son temps, cette note domine, et, jointe aux retours de mélancolie profonde où il songe à la mort, aux rêveries poétiques, aux aspirations à la solitude studieuse et aux demandes de consolation à l'amitié, marque ces pièces, d'une écriture d'ailleurs si précise, comme très différentes des productions d'un Parny.
Et la même ardeur que cet homme, vraiment homme, apportait au plaisir, il l'apportait aussi à l'étude. A vrai dire on se demande si jamais poète fut plus industrieux. Il lit dans toutes les directions et la plume à la main--d'abord, peut-être, pour le désir de savoir et parce que, étant bien de son temps, il avait l'ame d'un encyclopédiste--étant d'avis aussi que 'savoir lire et savoir penser' sont le 'préliminaire indispensable de l'art d'écrire,'--mais surtout pour faire provision de matériaux à utiliser et parce que, en lisant, les idées lui venaient. Il lit donc les Analecta de Brunck, son livre de chevet; il lit Homère, Hésiode, Platon, Aristophane, Callimaque, Théocrite, Méléagre, Catulle, Lucrèce, Virgile (Virgile est partout dans son oeuvre), Horace, Tibulle, Properce, Tacite, Salluste, Cicéron, le Florilegium de Stobée, Pétrarque, Sannazar, Rabelais, Montaigne, Ronsard, Malherbe, qu'il commente et admire fort, Pascal, qu'il juge durement, Molière, Corneille, Racine, qu'il cite souvent, Voltaire, qu'il aime peu et n'estime guère, Montesquieu, J.-J. Rousseau, Raynal, Condorcet, Mably, Buffon, Lebrun. Il lit Shakespeare dont il imite deux passages (p. 39, XIX) et pour lequel son frère Marie-Joseph lui reprochera d'être trop indulgent, Milton ('le grand Milton,' 'grand aveugle dont l'ame a su voir tant de choses'), le bon Suisse Gessner, comme il l'appelait, qui lui suggère, entre autres choses, Pannychis (p. 31), et que parfois il traduit (p. 43, XXVI), Richardson, dont il aime les douces héro?nes, Clarisse et Clémentine (p. 57, ll. 67-72), Thomson (p. 44, XXX), Ossian (p. 59, l. 55). Il lit la Bible, dont il tire un poème, Suzanne, et qu'il imite parfois (p. 37, XVI). Il lit des auteurs chinois, notant son regret que davantage ne soit point traduit de cette littérature. Il écrit des pages de prose qui le révèlent moraliste à la fa?on de La Bruyère. Surtout, sous l'aiguillon de la lecture, il compose ses vers, et, ce qu'il y a d'extraordinaire, il gardait tout en portefeuille, nullement pressé de rien publier, se réservant de revoir tout, d'améliorer tout, jamais prêt à rien lire à ses amis (p. 60, l. 80; p. 85, ll. 64-9) dans ce petit cénacle littéraire, présidé par Lebrun et dont étaient Brazais, les deux Trudaine, les deux de Pange, et son frère, Marie-Joseph Chénier.
Ses oeuvres, toutes posthumes, sauf deux, où l'inachevé coudoie l'achevé, nous admettent dans le secret de cet atelier. Nous y voyons André Chénier, lecteur industrieux, butinant, faisant des extraits, mettant en réserve mots, tournures, images, qu'il compte utiliser dans un poème futur. Ce sont, par exemple, des canevas avec l'indication des textes à imiter:
'Il faut en faire une (une bucolique) sur les Triétériques, en Béotie, et imiter d'une manière bien antique tout ce qu'il y a de bien dans le _Penthée_ d'Euripide, vers 13, etc.... ce qu'il chante, au choeur des femmes, au thiasus, pour l'exciter, vers 55. Tout le choeur. Toute la scène du bouvier, vers 659. Voir la traduction des vers 693 et suivants, mêlés avec les vers 142 et suivants, édition de Brunck, etc.
Ce sont des vers ou des expressions à placer: 'en commencer une (bucolique) par ces vers... en commencer ou en finir une ainsi...'
Dans une Histoire de la Chine il rencontre deux pièces traduites du Chi-King, le livre des vers. Il se promet de faire entrer cela dans ses Bucoliques. Le même feuillet souvent nous offre un fragment d'élégie, une note pour son _Hermès_, une remarque philologique, quelques vers indiquant un projet d'églogue, une citation de Tibulle, etc.
Ainsi il accumulait les matériaux que sa fin prématurée ne lui a pas laissé le temps d'exploiter, qu'il n'aurait sans doute pas utilisés tous au cours d'une longue vie. Il l'a dit lui-même (ép?tre
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