Plus fort que la haine | Page 7

Léon de Tinseau
son domaine patrimonial que comme d'une ?le inconnue, habit��e, sinon par des cannibales, au moins par des tribus ��trang��res �� toute civilisation. De l'explorer par lui-m��me, il ne pouvait avoir l'id��e. Le vieux tuteur, qui n'��tait pas solide et se croyait encore plus malade qu'il n'��tait, poussait les hauts cris quand son neveu demandait la permission d'aller d?ner �� Saint-Germain. En r��alit��, c'��tait le jeune qui ��tait le tuteur de l'autre.
Quand le bonhomme fut tomb�� en enfance, accident qui suivit de pr��s la reddition de ses comptes �� son pupille, celui-ci eut quelque libert��, mais il n'en abusa point. Toutefois, pouss�� un beau matin par le d��mon des grandes aventures, il s'embarqua pour S��nac o�� il arriva sain et sauf, le soir m��me, un peu surpris que la route f?t si peu longue et plus surpris encore qu'on entendit le fran?ais, ou �� peu pr��s, dans le d��partement de l'Ard��che. A dire le vrai, la surprise alla jusqu'�� la d��sillusion. Les fleurs, les arbres, les animaux, tout, jusqu'aux ��tres humains eux-m��mes, ressemblait d'une fa?on d��sesp��rante �� ce qu'Albert avait vu chez son tuteur, entre Meaux et Lagny.
Le chateau lui parut fort triste, non sans cause. Au dedans, les pi��ces d��gageaient un parfum d'abandon qui serrait l'ame. Au dehors il pleuvait, ce qui emp��cha le visiteur de jouir de son parc imp��n��trable autant qu'une for��t vierge, car, depuis les exploits de Bouscati�� Ier, les arbres replant��s avaient eu tout le loisir d'emm��ler leurs branches et de faire dispara?tre les all��es, comme pour noyer dans l'oubli des jours n��fastes.
Le village tout entier fit grand accueil au descendant des anciens seigneurs, sauf toutefois les Cadaroux que ce retour malencontreux allait faire descendre au second rang, du premier qu'ils occupaient. D��j�� on leur adressait leurs lettres au ?chateau de S��nac?, absolument comme si le vieux manoir n'e?t ��t�� qu'une grange. On ��tait loin du temps o�� Cadaroux, le coupeur de ch��nes, parlait de sa ?maisonnette? en tournant dans ses doigts les bords graisseux de son feutre. Quant aux paysans, ils esp��raient une restauration prochaine du souverain l��gitime, moiti�� par int��r��t, moiti�� par affection traditionnelle pour une race qui ne leur avait fait que du bien, quand elle leur avait fait quelque chose. Mais Albert comprenait de reste qu'un de ses a?eux f?t mort d'ennui dans cet endroit que l'absence de soleil rendait lugubre, ainsi qu'il arrive pour les plus beaux sites du Midi. La sant�� de son oncle lui servit de pr��texte pour ne faire qu'une apparition �� S��nac, pr��texte assez fallacieux, car le vieillard ��tait dans l'incapacit�� la plus absolue de distinguer les moustaches de la soeur F��licit��, sa garde-malade, des moustaches plus longues mais non plus fournies de son beau neveu.
Cependant le jeune comte revint l'ann��e suivante. Cette fois une lumi��re d'or inondait la plaine, et le s��jour lui parut ce qu'il ��tait en effet, c'est-��-dire une merveille d'��clat et de pittoresque. Mais il avait �� peine eu le temps d'admirer le point de vue de sa tour, que les m��tayers firent queue chez lui, sachant qu'il ne fallait pas compter sur une longue visite de leur ma?tre. A la fin de la journ��e, quand il additionna le total des sommes demand��es pour augmenter ou consolider les ��difices, r��tablir les cl?tures, am��liorer les chemins, sans parler de l'��glise qui mena?ait ruine et de l'��cole des soeurs mise en interdit comme insalubre, le malheureux s'aper?ut qu'il ne s'en tirerait pas avec dix ann��es de ses revenus. Le domaine, �� vrai dire, rendait peu de chose, �� moins qu'on n'y pratiquat le mode d'exploitation jadis employ�� avec tant de d��sinvolture par le fondateur de la dynastie Cadaroux.
Devant cette pluie de r��clamations bien autrement d��courageante que la pluie du bon Dieu, Albert s'enfuit de nouveau; mais, pour le coup, il ��tait d��sol�� de partir. Le charme de la tradition de famille, du nom fi��rement port��, de la chose poss��d��e de tout temps par d'autres lui-m��me, toutes ces voix, subitement ��veill��es, parlaient d'autant plus �� l'oreille du jeune homme, qu'on aurait pu le d��finir: un coeur de po��te dans une poitrine d'aristocrate.
Ce fut donc avec le regret de l'exil�� disant adieu �� sa patrie qu'il mit le pied dans le bateau du passeur, pour aller prendre le train sur l'autre rive du Rh?ne. Le lendemain matin, il reparaissait �� cheval au Bois.
L'un de ses amis--pr��cis��ment ce m��me Quilliane dont il devait ��tre un jour le beau-fr��re posthume--l'interpella ironiquement au d��tour d'une all��e:
--D��j�� de retour dans l'affreux Paris! Est-ce que, par hasard, ta haute philosophie s'accommoderait encore mieux des poup��es de nos salons et des pantins de nos clubs, pour me servir de tes expressions, que des chats-huants et des loups de ton d��sert?
--Pourquoi pas des autruches et des tigres? fit S��nac en riant. Cher ami, apprends que mon d��sert est tout simplement un chateau d'assez grand
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