Plus fort que la haine | Page 4

Léon de Tinseau
lendemain c'est un autre rossignol qui chante, mais ce n'est plus le rossignol.
?Aussi avais-je tr��s peur de revoir l'��gypte en g��n��ral, et, sp��cialement, je tremblais comme une feuille en approchant de chacun des lieux o�� mon coeur avait laiss�� un souvenir. J'ai tout revu: le Caire et les grands arbres de la promenade, t��moins de notre premi��re rencontre; la petite maison de l'avenue de Boulaq o��, me voyant pleurer d'inqui��tude sur mon fr��re, il m'a dit:--Voulez-vous que je reste pour Christian[1]?
[Note 1: Les ��v��nements auxquels cette lettre fait allusion sont racont��s dans un livre pr��c��demment publi�� avec ce titre: _Sur le Seuil_.]
?Et il resta, vous vous en souvenez, le cher! bien qu'on l'attend?t en France et qu'il risquat de perdre une grosse somme--qu'il a perdue d'ailleurs. Il resta... et vous aviez raison: ce n'��tait pas mon pauvre Christian qui le retenait au Caire!
?Mais le plus dangereux, c'��tait de p��n��trer de nouveau, appuy��e sur son bras, dans ces ruines de Louqsor, o�� j'ai pass��, je crois, l'heure la plus douloureuse de ma vie. Car c'est l�� que j'ai vu combien j'��tais aim��e et combien j'allais aimer, moi, la fianc��e promise �� Dieu, moi dont le pauvre coeur ��tait d��j�� suspendu devant l'autel, comme ces ex voto de vermeil qu'on attache �� la muraille sainte, et qui ne saignent pas, ceux-l��!... Mon Dieu! que j'��tais malheureuse! Et vous, m��chante, vous m'aviez laiss��e m'engager seule dans le labyrinthe de granit; vous aviez peur des chauves-souris et des serpents. Ah! le v��ritable serpent, ce jour-l��, ��tait une horrible femme dont je ne veux pas ��crire le nom. Que Dieu lui pardonne la mort de mon fr��re et le crime que j'ai commis, grace �� elle, en doutant de l'��tre le plus loyal qui existe.
?Cet homme est plus qu'un homme: il fait mentir la sagesse et l'exp��rience humaines. Avec lui la r��alit�� d��passe le r��ve; la prose est plus douce que la po��sie; le bonheur de la veille para?t incomplet aupr��s du bonheur du lendemain. Ah! comme il eut raison de me ramener ici! Maintenant, je vois clair dans mon ame et dans la sienne--qui ne sont qu'une seule ame, �� vrai dire. Tout ce qu'il m'avait promis, annonc��, est en train de s'accomplir. Oui, je le reconnais. Si j'ai fui, d'abord, vers la divine perfection, loin du monde, c'est que je d��sesp��rais d'y trouver--mis��rable orgueil!--une cr��ature digne de moi. Et voil��, qu'au contraire, je me sens indigne de lui, tellement indigne! Le but de ma vie, apr��s le ciel, sera de diminuer la distance qui nous s��pare.
?Mon Dieu! quel bien nous allons faire et comme nous allons ��tre heureux! Ce matin je lui disais:
?--Pour ce qui est du bonheur, je suis tranquille: je vous ai! Mais ma grande crainte est de n'��tre pas assez utile en ce monde. Je sais bien que nous sommes assez riches pour faire des bonnes oeuvres. Alors ce ne sera pas nous qui serons utiles; ce sera notre argent.
?Il a ri de ce qu'il appelle mon sophisme.
?--Nous ferons quelque chose de bien plus consid��rable et de bien plus difficile que de fonder un hospice ou de recueillir des orphelines, a-t-il r��pondu. Nous montrerons �� l'humanit�� ce que c'est qu'un bon m��nage selon Dieu et selon le monde. Depuis vingt ou trente ans, je doute qu'on en ait vu beaucoup, tandis qu'on trouverait �� cette heure, dans les seuls couvents de Paris, plusieurs centaines de religieuses r��unissant toutes les vertus et toutes les qualit��s de l'esp��ce. Convenez qu'une de plus n'y aurait pas fait grand'chose. Vous serez bien plus utile en faisant voir au monde l'��chantillon perdu de la grande dame d'autrefois, je parle de ces femmes tout �� la fois s��rieuses et charmantes, reines par le pouvoir de la situation et de l'esprit, qui furent nos a?eules. Faut-il mettre en compte les exemples de la bonne chr��tienne que vous serez? Donc ne regrettez pas l'avenue Kl��ber. Vous avez fait de moi le plus heureux des hommes en la quittant, de m��me que vous en auriez fait le plus mis��rable en refusant d'en sortir.
?Vous allez dire que mon tr��s indulgent mari conduit la modestie de sa femme �� une mauvaise ��cole. C'est son affaire; mon devoir est d'accepter avec joie _ces petites d��monstrations d'amiti�� qui rapprochent les coeurs et servent �� faire l'agr��ment d'une douce soci��t��_. Reconnaissez-vous, dans ces paroles, notre ami saint Fran?ois de Sales? Peut-��tre que non, car elles ne sont point tir��es des chapitres que vous me lisiez souvent, jadis, pendant que je brodais la fameuse chasuble, sans me douter qu'elle embellirait la messe de mon mariage et non pas celle de ma prise d'habit. Dieu l'a voulu; je le sais, j'en suis s?re: je l'en remercierai jusqu'�� mon dernier soupir.
?Vers la fin d'avril, nous serons �� S��nac et je vous raconterai le voyage que nous achevons.
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