et d?ment mariés, et même qu'ils avaient semblé particulièrement satisfaits de l'être. Il ajouta--et le bonhomme s'y connaissait--que, dans sa longue carrière, il n'avait jamais rencontré de futur mieux fait et plus épris, de future plus belle, mieux habillée et de plus grand air. Après quoi il mourut.
Pendant ce temps-là, une ancienne élève, restée la favorite de la Révérende Mère de Chavornay, finissait par apprendre de celle-ci que le jeune ménage, au sortir de la chapelle, s'était rendu à l'h?tel Quilliane et y avait passé vingt-quatre heures, dans le plus strict incognito, bien entendu. Cette infraction aux usages, qualifiée par les douairières de mariage à la hussarde, fut généralement blamée. Une vieille fille, assez m?re pour avoir son franc parler, ne craignit pas de dire:
--A la place de la novice il m'aurait semblé que la chambre nuptiale du quai d'Orsay n'était pas assez distante de la cellule de l'avenue Kléber, et j'aurais cru commettre un sacrilège en n'allant pas plus loin.
--Oh! mademoiselle, répondit le baron de Javerlhac, l'enfant terrible du Faubourg malgré ses soixante ans, on voit bien que vous n'avez jamais passé par là! Auriez-vous donc obligé ces pauvres diables à attendre qu'ils fussent dans la lune pour songer à la terre?
--D'ailleurs, fit observer la jeune marquise de Boisboucher, parente d'Albert, j'ai eu quelques détails. Les époux n'ont même pas déjeuné en tête à tête, car la respectable Mrs Crowe, l'ancienne dame de compagnie de ma nouvelle cousine, s'est mise à table avec eux, je le sais de bonne source.
Une chose impossible à savoir, en revanche, était le lieu vers lequel Sénac et sa femme avaient pris leur vol en quittant Paris. Probablement ils se cachaient dans le vieux chateau de Sénac, demeure féodale peu habitée depuis longtemps et enfoncée dans les montagnes de l'Ardèche. Allaient-ils donc y passer un siècle, sans voir personne?--Bon moyen de se prendre en aversion! prophétisèrent les personnes d'expérience.
Mais, un beau jour, on apprit que les Sénac avaient été rencontrés en égypte. Sans doute, ils refaisaient, sous forme de pèlerinage amoureux, l'excursion qui leur avait si bien réussi deux ans plus t?t. Ce dernier trait acheva de les classer parmi les chercheurs de quintessence dont il ne faut rien attendre de bon. Pendant une semaine on ne parla point d'autre chose.
--Ils comprennent la fausseté de leur situation, proclama la sévère marquise de Castelbouc, et n'osent pas se montrer avant qu'on ait oublié leur histoire. Mariage de novice, mariage de divorcée: au fond les deux se ressemblent.
Avec plus de mesure, le baron de Javerlhac, qui joue volontiers le r?le de juge amateur dans les causes mondaines, résuma les plaidoiries et pronon?a l'arrêt par contumace:
--Pl?t au ciel qu'il n'y e?t rien de plus à reprendre aux vingt ou trente mariages qui se feront chez nous cette année, qu'à celui-là! Ces braves gens n'ont qu'un tort, dont ils seront seuls à souffrir. Je les devine trop différents des êtres masculins et féminins parmi lesquels le sort les appelle à vivre. Ils veulent être meilleurs que leur époque, et croient pouvoir donner en tout la première place au sentiment. Or, nos romanciers eux-mêmes fuient le sentiment dans leurs livres, parce que ?a ne se vend plus. Si j'étais l'ami intime de ces deux rêveurs, je leur conseillerais de rester toute leur vie en égypte,--et encore c'est un peu trop près d'ici. Quand ils se trouveront en face de la vie telle qu'on nous l'a faite et que nous l'avons faite, ils m'en diront des nouvelles!
Javerlhac n'était pas toujours si tendre envers son prochain, car la bienveillance n'était pas son péché mignon. L'avenir devait montrer si, malgré cette mansuétude, il avait vu l'avenir trop en noir dans sa prophétie. Tandis qu'il livrait au vent les feuilles de l'oracle, Thérèse de Sénac écrivait la lettre suivante à Mrs Crowe qui venait de passer, toute seule au vieux chateau, un hiver assez différent de celui du jeune ménage:
?Le Caire, 25 avril 188...
?Ma chère Kathleen, savez-vous pourquoi je ne vous ai guère envoyé que des bulletins de santé depuis mon départ? C'est que--je suis habituée à vous dire tout--notre équipée d'outre-mer me causait des terreurs folles; mais vous devinez bien que ce n'est pas le voyage en lui-même que je craignais.
?Quelle dangereuse témérité pour Albert, quelle folle présomption pour moi, cette idée de refaire, dans la prose du bonheur atteint, le même voyage fait une première fois dans la poésie de l'impossible rêvé! Encore presque une enfant, je comprenais déjà que les étoiles m'auraient paru bien moins belles après que j'aurais pu les toucher. D'ailleurs, il me semblait qu'il ne faut pas recommencer certaines minutes particulièrement douces de la vie. La seconde rose, cueillie au même rosier, ne donne pas l'ivresse de la première. Le printemps n'a qu'un rossignol: celui qui nous a surpris, un beau soir, de sa sérénade oubliée. Le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.