Plus fort que Sherlock Holmès | Page 4

Mark Twain
de crédit, dépense largement; l'argent ne doit pas être compté. Tu auras besoin de déguisements sans doute et de beaucoup d'autres choses auxquelles j'ai pensé.
Elle tira du tiroir de sa table plusieurs carrés de papier portant les mots suivants écrits à la machine:
10.000 DOLLARS DE PRIME
?On croit qu'un certain individu qui séjourne ici est vivement recherché dans un état de l'Est.
?En 1880, pendant une nuit, il aurait attaché sa jeune femme à un arbre, près de la grand'route, et l'aurait cravachée avec une lanière de cuir; on assure qu'il a fait déchirer ses vêtements par ses chiens et l'a laissée toute nue au bord de la route. Il s'est ensuite enfui du pays. Un cousin de la malheureuse jeune femme a recherché le criminel pendant dix-sept ans (adresse... Poste restante). La prime de dix mille dollars sera payée comptant à la personne qui, dans un entretien particulier, indiquera au cousin de la victime la retraite du coupable.?
--Quand tu l'auras découvert et que tu seras s?r de bien tenir sa piste, tu iras au milieu de la nuit placarder une de ces affiches sur le batiment qu'il occupe; tu en poseras une autre sur un établissement important de la localité. Cette histoire deviendra la fable du pays. Tout d'abord, il faudra par un moyen quelconque, que tu le forces à vendre une partie de ce qui lui appartient: nous y arriverons peu à peu, nous l'appauvrirons graduellement, car si nous le ruinions d'un seul coup, il pourrait, dans un accès de désespoir chercher à se tuer.
Elle prit dans le tiroir quelques spécimens d'affiches différentes, toutes écrites à la machine, et en lut une:
?A Jacob Fuller... Vous avez... jours pour régler vos affaires. Vous ne serez ni tourmenté ni dérangé pendant ce temps qui expirera à... heures du matin le... 18... A ce moment précis il vous faudra déménager. Si vous êtes encore ici à l'heure que je vous fixe comme dernière limite, j'afficherai votre histoire sur tous les murs de cette localité, je ferai conna?tre votre crime dans tous ses détails, en précisant les dates et tous les noms, à commencer par le v?tre. Ne craignez plus aucune vengeance physique; dans aucun cas, vous n'aurez à redouter une agression. Vous avez été infame pour un vieillard, vous lui avez torturé le coeur. Ce qu'il a souffert, vous le souffrirez à votre tour.?
--Tu n'ajouteras aucune signature. Il faut qu'il re?oive ce message à son réveil, de bonne heure, avant qu'il connaisse la prime promise, sans cela, il pourrait perdre la tête et fuir sans emporter un sou.
--Je n'oublierai rien.
--Tu n'auras sans doute besoin d'employer ces affiches qu'au début; peut-être même une seule suffira. Ensuite, lorsqu'il sera sur le point de quitter un endroit, arrange-toi pour qu'il re?oive un extrait du message commen?ant par ces mots: ?Il faut déménager, vous avez... jours.? Il obéira, c'est certain.

III
EXTRAITS DE LETTRES A SA MèRE
Denver, 3 avril 1897.
Je viens d'habiter le même local que Jacob Fuller pendant plusieurs jours. Je tiens sa trace maintenant; je pourrais le dépister et le suivre à travers dix divisions d'infanterie. Je l'ai souvent approché et l'ai entendu parler. Il possède un bon terrain et tire un parti avantageux de sa mine; mais, malgré cela, il n'est pas très riche. Il a appris le travail de mineur en suivant la meilleure des méthodes, celle qui consiste à travailler comme un ouvrier à gages. Il para?t assez gai de caractère, porte gaillardement ses quarante-quatre ans; il semble plus jeune qu'il n'est, et on lui donnerait à peine trente-six ou trente-sept ans. Il ne s'est jamais remarié et passe ici pour veuf. Il est bien posé, considéré, s'est rendu populaire et a beaucoup d'amis. Moi-même j'éprouve une certaine sympathie pour lui; c'est évidemment la voix du sang qui crie en moi!
Combien aveugles, insensées et arbitraires sont certaines lois de la nature, la plupart d'entre elles au fond! Ma tache est devenue bien pénible maintenant. Vous le saisissez, n'est-ce pas? et vous me pardonnerez ce sentiment? Ma soif de vengeance du début s'est un peu apaisée, plus même que je n'ose en convenir devant vous; mais je vous promets de mener à bien la mission que vous m'avez confiée. J'éprouverai peut-être moins de satisfaction, mais mon devoir reste impérieux: je l'accomplirai jusqu'au bout, soyez-en s?re. Je ressens pourtant un profond sentiment d'indignation lorsque je constate que l'auteur de ce crime odieux est le seul qui n'en ait pas souffert. Son action infame a tourné entièrement à son avantage, et au bout du compte il est heureux. Lui, criminel, s'est vu épargner toutes les souffrances; vous, l'innocente victime, vous les supportez avec une résignation admirable. Mais rassurez-vous, il récoltera sa part d'amertumes, je m'en charge.
* * * * *
Silver Gulch, 19 mai...
J'ai placardé l'affiche n° 1 le 3 avril à minuit; une heure plus tard, j'ai
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