Pile et face | Page 7

Lucien Biart
la sonnerie se d��cha?nait �� l'improviste, et alors il fuyait ��perdu. L'age le rendit plus brave; peu �� peu il osa affronter le vacarme qui pr��c��dait l'annonce de l'heure, et le tic-tac du balancier devint sa musique de pr��dilection.
Un jour, Mademoiselle re?ut une lettre de M. de La Taillade, qui vivait heureux �� Paris et demandait de l'argent. Il annon?ait en outre son prochain mariage avec Mme veuve Blanche Taupin, propri��taire de l'��tablissement du Coeur-Enflamm��, et offrait �� sa soeur de lui amener sa nouvelle ��pouse. Le soudard oubliait de s'informer de son fils, oubli qui n'affligea personne.
Oh! le temps, il nous ��chappe, il fuit, il n'est plus! Nous marchons en avant, d��pensant les heures qui s'amoncellent derri��re nous. Tout �� coup un souvenir nous traverse l'esprit, nous faisons volte-face: comme l'horizon a chang��! On croyait que c'��tait hier, et c'��tait il y a dix ans. On devient pensif devant ce pass�� qui a ��t�� nous, qui est mort et qui ne reviendra plus. On doute, on croit se tromper, on regarde autour de soi. Les enfants sont devenus des hommes, les hommes des vieillards; les vieillards, o�� sont-ils? D'autres ��tres qui n'existaient pas hier les remplacent aujourd'hui. Quoi! c'��tait il y a dix ans! On se tate, on s'examine, l'oeil est moins s?r, les cheveux sont moins ��pais, les l��vres moins rouges, et ces plis qui sillonnent le front, quelle main les a form��s? On montait, voil�� qu'on descend, et l'on n'y songeait pas. Que d'angoisses, que de joies, que de douleurs, que d'esp��rances enfouies dans cette ombre qui est une moiti�� de notre vie! Ah! pourquoi s'��tre retourn��? Et pourtant, on s'attarde �� contempler ces t��n��bres d'o�� la m��moire fait jaillir maintes ��tincelles, dont la plus brillante, par un ph��nom��ne singulier, n'est pas toujours celle des jours heureux.
Mademoiselle se livrait �� ces r��flexions alors que Gaston accomplissait sa septi��me ann��e. ?D��j��!? disait-elle; elle n'y pouvait croire et secouait la t��te avec m��lancolie. A cette ��poque, sur les instances du docteur, le petit gar?on fut plac�� sous la surveillance d'une brave et honn��te dame qui, en m��me temps que la civilit�� pu��rile et honn��te, enseignait aux principaux enfants de la ville �� distinguer un substantif d'un adverbe. Le jour o�� il fut conduit pour la premi��re fois �� l'��cole resta grav�� dans l'esprit de Gaston. D��s la veille, il vit pleurer sa tante, qui ne se d��cidait qu'�� contre-coeur �� se s��parer de lui, m��me pour quelques heures. Catherine, silencieuse, embrassait �� chaque instant son favori, qui alla se coucher assez inquiet, se demandant si l'��cole o�� son parrain voulait le mener n'��tait pas en r��alit�� un antre d'ogre. Le matin arriv��, deux heures se perdirent en pourparlers; enfin on se mit en route. Le soir, Gaston rentra enchant��: il avait jet�� les fondements de plusieurs amiti��s et n��goci�� l'��change d'une toupie contre cinq billes, dont une de marbre.
Quelques mois plus tard, le docteur, en diplomate habile, pronon?a le mot coll��ge. Mademoiselle, qui s'effrayait de voir Gaston grandir, imposait alors silence �� son vieil ami.
?Il faut s'accoutumer �� regarder l'avenir en face, disait celui-ci, c'est pour eux, non pour soi, qu'on ��l��ve les enfants, et nous l'oublions trop dans notre beau pays de France. Lorsque la soci��t��, grace au progr��s...
--Le progr��s sera la suppression de vos affreux coll��ges.
--Ou du moins la suppression des m��thodes vicieuses qu'on y suit par routine, reprenait le docteur. Le progr��s...?
Et une fois sur ce th��me, je ne sais qui e?t pu l'arr��ter. La belle ame que celle du docteur Fontaine! Les hommes devenaient bons, sages, dignes et libres dans ses utopies; la veuve ��tait prot��g��e, l'enfance instruite, et les jeunes gens, robustes et sains, ��pousaient vaillamment les jeunes filles sans dot. Comme sa vieille jument jaune avait raison de hennir lorsqu'elle passait, selon sa fantaisie, d'un bord �� l'autre de la route, portant son ma?tre toujours absorb�� dans la recherche des nouvelles perfections dont il voulait doter le monde futur! Les b��tes ne le sont pas tant qu'on pense, et si la jument hennissait, c'��tait sans doute par orgueil de sentir sur son dos ce fardeau aussi rare sur une selle que partout ailleurs: un homme de bien.
Heureux, content, choy��, Gaston atteignit sa huiti��me ann��e. A cette date, on vit souvent Mademoiselle en conf��rence avec son notaire. Le soir, elle s'oubliait pensive pr��s du lit de son neveu, qu'elle embrassait de temps �� autre, tout en prenant garde de ne pas l'��veiller.
?Ch��re tante, dit-il une nuit qu'elle le croyait endormi, pourquoi pleures-tu?
--Je songe �� ton avenir, r��pondit Mademoiselle, qui souleva l'enfant pour le presser contre son coeur.
--Vas-tu donc m'envoyer au coll��ge, ainsi que le demande mon parrain?
--Pas encore; mais il faudra nous y r��soudre; tu n'es pas riche et tu dois apprendre �� travailler.
--Je veux bien travailler; ce que je ne veux pas, c'est
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