Pile et face | Page 6

Lucien Biart
les merveilles du monde physique, le docteur refusait d'en faire honneur au hasard.
?Je suis un esprit fort, disait-il quelquefois en souriant, car je crois non-seulement en Dieu, mais encore �� l'immortalit�� de l'ame.?
Au r��sum��, il riait avec Voltaire, s'attendrissait avec Rousseau, leur pr��f��rait Bayle, et, bien que philosophe, pratiquait la tol��rance et vivait en paix avec son cur��.
Mademoiselle, qui se croyait inconsolable, reprit insensiblement go?t �� la vie. Ce qu'elle avait d'abord consid��r�� comme une tache, comme un devoir s��rieux, devint une douce occupation, un plaisir, puis une source de jouissances. Du matin au soir elle r?dait autour du berceau, le penchait, le redressait, taillait, rognait, cousait des bavettes ou des b��guins, et jamais son activit�� ne fut mise �� plus rude ��preuve. On suffisait �� peine aux soins n��cessit��s par ce bambin moins bruyant que la grande horloge, mais qu'il ne fallait perdre de vue ni jour ni nuit. Peu �� peu ses yeux perdirent cette expression vague qui ferait croire que les nouveau-n��s contemplent encore les merveilles d'un monde inconnu. Comme un oiseau priv�� soudain de sa libert�� meurt faute de pouvoir oublier le buisson natal, combien de babies succombent l'oeil fix�� sur cette patrie perdue qu'ils regrettent sans doute, jusqu'�� l'heure o�� le sourire maternel les ��blouit de son rayon! Gaston, grace �� sa tante, triompha de l'��preuve, se tourna vaillamment vers la vie, et commen?a �� suivre la marche de la lumi��re, d��s qu'on d��pla?ait une lampe ou une bougie. Catherine, ��merveill��e, raconta partout ce prodige, et Mademoiselle sentit se r��veiller en elle l'orgueil h��r��ditaire en songeant que ce petit ��tre si intelligent ��tait un La Taillade. Fran?oise d��clarait en vain que tous les fieux de cet age en font autant, Mademoiselle n'en voulait rien croire. Ce n'est pas que la nourrice n'e?t aussi l'orgueil de son poupon; mais elle le pla?ait dans le poids qu'il pouvait avoir, et offrait sans cesse de gager qu'avant six mois il serait plus lourd que l'enfant si vant�� de la Claude.
Que faisons-nous de nos graces en grandissant? Au dire des m��res,--personnes g��n��ralement bien inform��es,--il n'existe pas de bambin au-dessous de dix ans qui ne soit un prodige �� plusieurs points de vue. Beaut��, esprit, m��moire, raison, ils ont tout, ces lutins roses, ces monstres toujours trop vifs, trop ardents, trop grands pour leur age.
?Il est extraordinaire, madame; songez qu'il n'aura six ans que la semaine prochaine.
--Et ma fille, elle surprend tous ceux qui l'entendent; son p��re n'en revient pas.
--L'autre jour, M. Martinet avouait n'avoir jamais vu le pareil de Jules, et vous le connaissez M. Martinet,--un homme s��rieux.
--Croiriez-vous que Laure, qui sait �� peine lire, met l'orthographe, c'est-��-dire qu'elle m'��pouvante.?
R��jouissons-nous; la g��n��ration qui va nous succ��der sera compos��e d'��tres beaux, sup��rieurs, id��als. Mais, h��las! n'est-ce pas un leurre? n'avons-nous pas tous ��t�� charmants lorsque nous ��tions petits, et ces bonshommes qui passent l��, devant nous, b��tes, laids, m��chants, vicieux, hargneux, jaloux, tar��s, blas��s, n'auraient-ils pas ��t�� aussi des prodiges? N'approfondissons pas; les graces divines de l'enfance ne peuvent se nier, elles s��duisent jusqu'aux indiff��rents, et Gaston en montrait chaque jour une nouvelle. A quatre mois, il tendait ses bras vers Mademoiselle ou vers Catherine aussit?t qu'il les apercevait, et les comblait ainsi d'une joie ineffable. Elle m��ritait bien cette gentillesse, car jamais v��ritable m��re ne t��moigna plus d'affection �� un enfant. Mademoiselle, dans son abn��gation, demeurait immobile des heures enti��res, de crainte d'��veiller le poupon endormi sur ses genoux. Elle oubliait alors le pass�� pour ne songer qu'�� l'avenir, et Dieu sait les r��ves d'or que son imagination faisait planer au-dessus de la t��te de son neveu!
Gaston grandit sans autre accident que la rougeole. Il apprit �� lire de bonne heure, dans le livre de messe de sa tante, excit�� par les images dont il voulait d��chiffrer les l��gendes. Il ��tait d'une bonne sant��, vif, nerveux, intelligent, et gat�� �� l'exc��s. Ses traits fins, ses yeux bleus, ses cheveux boucl��s, rappelaient sa m��re �� ceux qui l'avaient connue enfant. Le docteur blamait souvent la condescendance de Mademoiselle pour le bambin, dont il craignait qu'on n'alt��rat l'excellent naturel. L'enfant se pla?ait entre ses genoux pour l'��couter sermonner; puis, comme p��roraison, l'amenait �� confectionner des bateaux en papier, art dans lequel son parrain d��clarait lui-m��me avec complaisance n'avoir jamais connu de rival.
La vieille horloge, qui avait sonn�� �� la fois l'heure de la naissance du petit gar?on et celle de la mort de sa m��re, exer?ait sur lui une singuli��re fascination. Fran?oise, pour apaiser les col��res de l'enfant, l'amenait pr��s de l'esp��ce de cercueil au fond duquel le balancier se d��menait avec un entrain diabolique. Aussit?t qu'il put marcher, Gaston se dirigea de lui-m��me vers la salle �� manger; il s'arr��tait sur le seuil, et, la bouche entr'ouverte, regardait les aiguilles courir sur les chiffres noirs. Quelquefois la temp��te produite par
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