Physiologie de lamour moderne | Page 4

Paul Bourget
Je rentrai m��content de moi, comme un homme qui s'est abaiss�� �� commettre l'action qu'il blamerait le plus chez un autre, et malade d'elle comme je ne l'avais jamais ��t��. Ces fins d'apr��s-midi de f��vrier, avec leurs brumes aigres et cruelles, vous pincent les nerfs �� vous les casser. Mon domestique alluma la lampe. Je m'assis au coin du feu dans mon ?souffroir? de la rue de Varenne, qui fut autrefois mon ?aimoir?. Des baisers de cet autrefois me revinrent, un autrefois d'il y a pourtant deux ans, grande meretricii oevi spatium, e?t dit le p��re Aubert, mon vieux ma?tre de rh��torique.--Je sentis une amertume infinie noyer mon coeur, et, comme d'habitude, je me raisonnai:
--?H�� quoi! Claude Larcher, mon ami, tu souffres, et tu l'as quitt��e! Oui, c'est toi qui l'as quitt��e, et tu poss��des l��, dans un tiroir �� la port��e de ton bras, des lettres o�� elle te supplie de revenir et auxquelles tu as r��pondu, comme il sied, par du persiflage. Ton imb��cile amour-propre d'homme doit ��tre satisfait, que diable!... Elle est bien jolie avec ses cheveux cendr��s, ses yeux couleur d'eau et sa bouche �� la Botticelli. Mais n'a-t-elle pas prostitu�� cette beaut�� �� tous tes d��sirs? Y a-t-il une place de ce corps, si jeune et si frais, que tu n'aies profan��e dans des heures de d��lire? Donc, avec cette femme, pas de recherche d'une sensation nouvelle. Quant �� son coeur, c'est par horreur de lui que tu l'as quitt��e, ayant ��prouv�� qu'il n'en est pas de plus perfide, de plus gangren�� par les vices de son m��tier de com��dienne en vogue, de plus incapable d'aimer. Pourquoi donc, pensant tout cela, ��prouves-tu cette br?lure affreuse �� la seule id��e de son existence, l��, sous le sein gauche? Pourquoi cette ��treinte de ton cerveau par ce souvenir que tout rappelle: une nuance du ciel, un mot entendu, un coin de rue tourn��, un camarade rencontr��? Pourquoi surtout ce cuisant et monstrueux d��sir de lui faire du mal?... Ah! si je pouvais aller jusqu'�� l'extr��mit�� de ce d��sir!...?
Je fermai les yeux. Je vis devant moi ce corps dont je connais chaque ligne, ces ��paules pleines �� la fois et minces, cette gorge souple, ces hanches sveltes, toute sa nudit��, et moi, avec un couteau, d��chirant cette chair, ensanglantant ces membres, et leur fr��missement sous la pointe de l'acier,--et sa douleur.... Non, je ne ferai jamais cela, parce que chez moi, civilis�� de d��cadence, l'action ne sera jamais la soeur du d��sir.... Dieu juste! que je l'ai r��v�� de fois, et rien que de le r��ver me soulage.--Ah! la hideuse chose!...
* * * * *
--?C'est positif pourtant que cet acc��s de fureur m'a soulag��,? me disais-je un peu plus tard, en vaquant aux soins de ma toilette de soir��e. J'eus un moment de franche gaiet�� �� r��p��ter tout haut la phrase de Boisgommeux dans la Petite Marquise: ?C'est ?a, l'amour....? Ah! j'aurais cette gaiet��-l��, le soir, j'en suis s?r, je le sais, si j'avais tu�� Colette le matin, et puis, quel divin sommeil! Oui, comme je dormirais bien avec la certitude que personne ne poss��dera plus ce corps de femme, qu'aucune bouche ne la salira plus de ses baisers!... Si tout �� l'heure, dans la maison o�� je vais d?ner, un des hommes de cercle qui viendront l�� pronon?ait cette phrase, seulement cette petite phrase: ?Vous vous rappelez Colette Rigaud?... Elle est morte hier, �� P��tersbourg, subitement....? quel flot de d��lices inonderait mon coeur! Non, ce ne serait pas assez, je voudrais apprendre qu'elle a souffert.--Et je l'aime! Que lui souhaiterais-je donc si je la ha?ssais?...?
J'avais fini de m'habiller en d��gustant cette absinthe am��re de la rancune, qui a ceci de commun avec l'autre qu'elle ne donne gu��re d'app��tit et qu'elle rend m��chant et fou. Je continuai dans mon fiacre, et je me r��veillai comme d'un songe quand j'entrai dans le vestibule de l'h?tel o�� je devais d?ner,--en plein d��cor du luxe le plus moderne, le luxe du boursier qui peinait dans la coulisse, voil�� dix ans, et que des chances extraordinaires ont port�� �� un degr�� invraisemblable de fortune. Simple remisier, Michel Mayence se donnait d��j�� les gants de frayer avec des artistes. Il ne manquait pas une premi��re, pas une ouverture d'exposition. Avec son teint pale et comme fan�� une fois pour toutes, avec ses yeux noirs qui trahissent l'origine s��mitique et qui prennent dans cette face exsangue l'��clat des yeux d'un portrait, avec ses mains maigres o�� luisent quelques bagues, avec son ��l��gance impersonnelle et irr��prochable, sa moustache fine et son front d��nud��,--il est le type de ce personnage nouveau qui peut ��tre bookmaker ou grand seigneur, simple reporter ou grand financier, usurier ou emprunteur, diplomate habile ou mondain v��reux,--on ne sait pas. Le krach, qui a ruin�� tant de personnes, acheva de l'enrichir. Tout
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