les mouches, pendant que le cerf vient boire à vos pieds. Phénissa! Il te faut bien longtemps pour manger deux prunes vertes! Reviens donc à l'arbre fécond en fruits m?rs et à la femme féconde en plaisirs. La joie d'aimer et de mordre pend à toutes mes branches et le parfum des fleurs s'y mêle à l'odeur des vendanges. Je suis le luxe d'une éternelle luxure et ma vie est un perpétuel épanouissement. Je te l'ai donnée, elle, pour que tu la manges en intermède, repos au milieu du repas, mais c'est à ma chair que tes dents appartiennent et seul mon sang a le droit d'apaiser ta soif de male, et seul il en a le pouvoir!
PHéBOR
Laisse-moi m'amuser encore un peu!
PHéNA
Non, tu as joué assez avec ce néant. Tu n'entreras pas plus avant dans l'obscurité de l'avenir et tu n'iras pas semer dans le champ de demain des herbes qui fleuriraient peut-être. Demain ne te fait donc pas horreur que tu en peux supporter l'image et aimer le symbole? Tu veux donc qu'après t'avoir arraché la langue on boive dans ton verre? Tu veux léguer tes joies, en les pleurant? Donne-les, maintenant, en les méprisant. Jette l'agnelle à peine dépucelée au na?f baiser d'un jeune loup et qu'il crève en la dévorant,--mais n'attends pas que, riche de ta vie, elle se couche sur ta tombe pour y ouvrir au railleur funèbre la somptuosité de son sexe. Tu ne hais donc plus ceux qui te survivront?
PHéBOR
Je les hais. Je veux que tout finisse avec moi,--mais pas encore!
PHéNA
Non, pas encore. Pas encore! Tu consens donc à mourir,--comme si je n'avais pas le secret de la vie?
PHéBOR
Nul n'a le secret de la vie.
PHéNA
Les jeunes herbes étouffent leurs mères. Si les jeunes herbes étaient détruites dans leurs graines, ou les graines dans la terre, ou si les jeunes pousses étaient rasées à mesure que pointe leur insolence,--les mères seraient éternelles. Nous sommes les mères, Phébor, et plus que des herbes, hautes et m?res. Nous sommes des êtres volontaires et libres,--et nous pouvons étrangler l'avenir.
PHéBOR
Etrangler l'avenir!
PHéNA
Donnons l'exemple à nos pareils.
PHéBOR
Je ne suis pas prêt.
PHéNA
Que te manque-t-il?
PHéBOR
La puissance d'un motif capable d'exalter mon bras.
PHéNA
C'est la haine qui te manque? Je te plains.
PHéBOR
Ce n'est pas la haine qui me manque,--mais j'ai pitié.
PHéNA
De toi-même?
PHéBOR
De Phénissa.
PHéNA
Je ne te l'ai pas donnée pour que tu en aies pitié.
PHéBOR
Pourquoi donc me l'as-tu donnée,--ta fille?
PHéNA
Pour que, l'ayant aimée, tu aies le droit de la tuer.
(Elle sort.)
PHéBOR
La tuer? Il y a des mots que je n'aime pas. Ils sont trop clairs. Tuer! Oui, tuer, c'est vivre. On ne peut vivre sans tuer,--et peut-être qu'à force de tuer on gagne la vie. Mon corps et tous mes membres, et mes yeux, et ma bouche, et mes oreilles, c'est du sang qui les a faits,--et je sens qu'en mes veines il me coule une ame de sang, une pensée de sang. A boire! J'ai soif de toute l'essence de la vie et de la pourpre de toutes les artères! Triste vampire, à quoi bon? Non, mais si c'était vrai qu'en écrasant les petits on fortifie les mères,--qu'en étouffant l'avenir, on éternise le présent? Peut-être. J'aime à croire cela, car l'avenir me cause une telle horreur qu'il m'empêche de jouir de la bénédiction des choses. L'avenir: que l'indignité d'autrui se roule sur le tapis de mes plaisirs, et savoir monnayée en de sottes mains la gloire de mon égo?sme royal! Ah! l'avenir, si on pouvait le tenir et le percer au coeur ou l'étrangler, sans bruit,--pour que Dieu ne s'en aper?oive pas.
(Entre Phénissa.)
L'avenir, la jeunesse, l'enfance, la perpétuité! L'avenir,--le voilà.
PHéNISSA
Oui, la voilà!
(Elle court à Phébor, saute sur ses genoux, le caresse, enfantine et amoureuse.)
Vilain, qui m'a laissé dormir si tard! J'ai les yeux rouges. Baise-les, mes petits yeux. Un--deux! Encore! Non! Je suis fachée.
PHéBOR
Phénissa, quel age as-tu?
PHéNISSA
Sot, est-ce que j'ai un age? Est-ce que les fleurs ont un age? Est-ce que les lys ont un age! Ils sont fleuris ou défleuris, voilà tout. Moi, je suis fleurie. Je me sens fra?che comme un lys, parfumée comme un lys. Je suis un lys plein de rosée qui s'ouvre au soleil du matin. Oh! que je suis donc bien fleurie.
PHéBOR
Illusion! Tu n'es qu'une feuille verte.
PHéNISSA
Jaloux! Oui, tu as l'air jaloux de ma jeunesse. Pourtant elle est à toi. Toute ma blanche peau est à toi. Oh! J'ai envie de me mettre nue! Je t'aime!
(Elle ouvre sa robe et, demi-dévêtue, recule en tendant les bras à Phébor, qui la poursuit jusqu'au fond de la salle.)
Toute nue, toute! Mets-moi toute nue. Le lys n'a d'autre robe que sa beauté.
* * * * *
(Elle pousse une petite porte et se sauve en rattachant sa ceinture.)
PHéBOR
Je me suis encore laissé prendre à l'odeur de la feuille verte. Phénissa! Sa jeunesse est peut-être un cordial. Elle me réconforte comme du vin frais,--elle
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