Peaux-rouges et Peaux-blanches | Page 9

Émile Chevalier
figur��, les appelle le peuple canadien-fran?ais, a re?u le nom de Trou de l'Enfer [13].
[Note 13: Ce nom est fort commun en Am��rique pour designer les ab?mes. L'enfer et le diable jouent un grand r?le dans la nomenclature des ��pouvantails populaires.]
Il s'ouvre �� une port��e de fusil du village, entre deux chicots, dont l'un, pointu comme une aiguille ��merge �� trois pieds de la surface de l'eau, et l'autre forme un bloc de granit empat�� dans le rivage.
Ce bloc peut avoir quatre m��tres d'��l��vation: il est couronn�� par une plate-forme ��troite, du haut de laquelle on plane sur la cataracte.
Une distance de trois �� quatre pas au plus s��pare les deux rocs.
C'est dans cet intervalle que les eaux se pr��cipitent et roulent sur elles-m��mes avec une rapidit�� vertigineuse et un vacarme particulier, caverneux, qui domine le bruit g��n��ral de la chute. Nonobstant son ��troitesse, le Trou de l'Enfer est fatal �� toute cr��ature vivante que le sort lui a jet��e.
La tradition lui pr��te un nombre de victimes incroyable; et ces victimes, rarement il les rend,--sinon broy��es, hach��es--cadavres informes, m��connaissables.
Malheur �� qui l'affronte, malheur �� qui ne le sait ��viter!
La sinistre renomm��e qu'il s'est acquise, le Trou de l'Enfer l'avait d��j�� en 1837.
Cependant, malgr�� la terreur dont il ��tait entour�� et le peu de s��curit�� que paraissait offrir le rocher qui lui sert de margelle du c?t�� de la rive,--car ce rocher semble fr��mir sans cesse sous les pieds--en 1837, comme de nos jours, c'est �� cet endroit que les curieux venaient contempler les Rapides.
Par une belle et piquante matin��e du mois de mai de cette ann��e-l��, sur la Pierre-Branlante,--ainsi la d��signent les habitants du Sault-Sainte-Marie,--un jeune homme, grossi��rement mais confortablement v��tu d'un paletot et d'un pantalon de drap noir, d'une casquette de m��me ��toffe, retenue sous le menton par un cordon et de fortes gu��tres en peau, qui lui montaient jusqu'au-dessus du genou, consid��rait d'un oeil attentif le panorama d��ploy�� devant lui.
Ce personnage n'��tait pas beau, dans l'acception vulgaire du mot; mais la franchise, le courage respiraient dans sa physionomie hautement intelligente.
De longs cheveux noirs boucl��s ondulaient librement sur ses ��paules �� la brise du matin.
Il portait une barbe de m��me couleur, courte et bien fournie, que caressait souvent sa main gauche. Dans la droite, il tenait un marteau de g��ologue, arm�� d'une hachette qui flamboyait aux rayons du soleil levant.
A sa tournure, �� son costume, il ��tait facile de voir que ce jeune homme ��tait ��tranger au pays.
Une riche contr��e--murmurait-il en bon fran?ais;--et penser que nous l'avons perdue... perdue par notre faute!... qu'elle appartient maintenant en partie �� nos mortels ennemis les Anglais, dont le drapeau flotte triomphalement de l'autre c?t�� de cette rivi��re! Ah s'il ��tait possible de reconqu��rir...
A cette pens��e, il se prit �� sourire.
--Allons, Adrien, continua-t-il gaiement, es-tu fou, mon ami? Toi, expuls�� de l'��cole polytechnique pour insubordination la derni��re ann��e de ton cours, au moment de passer officier dans le Genie; toi, oblig�� de t'engager dans un r��giment de Dragons et parvenu �� grand'peine au grade de Mar��chal-des-logis-chef au bout de sept ans de service; toi, �� pr��sent, simple ing��nieur d'une compagnie en embryon, tu r��verais de batailles, de victoires!... Laisse l�� les affaires politiques, mon ami. Tu as pass�� la trentaine. Assez de b��tises comme ?a. Songe �� faire tout doucement ton bonhomme de chemin...
Un instant apr��s, il ajouta, en se frappant sur la poitrine:
--?a ne fait rien! On est toujours Fran?ais, m��me en Am��rique; et quand on voit tout ce que nous poss��dions, tout ce que ces coquins d'Anglais nous ont vol��...
Comme il en ��tait l�� de son monologue, l'apparition d'un canot qui s'engageait dans les Rapides changea le cours de ses id��es.
Ce canot d'��corce blanche, orn�� de figures rouges et bleues, ��tait mont�� par un Indien.
Le malheureux! Mais il va se suicider s'��cria Adrien, ignorant encore que, d'habitude, les Peaux-Rouges sillonnent dans leurs fr��les esquifs, avec la l��g��ret�� de l'oiseau, ces ab?mes inexorables.
Il venait de pousser cette exclamation, quand le canot, saisi par un courant, fut entra?n�� dans le Trou-de-l'Enfer, o�� il ��volua cinq ou six fois, en d��crivant des cercles de plus en plus ��troits, de plus en plus rapides, et s'enfon?a pour ne repara?tre jamais.
Le drame ne dura pas vingt secondes.
Un moment ��pouvant��, sentant frissonner sous lui la roche sur laquelle il se tenait, Adrien avait ferm�� les paupi��res, croyant que le cercueil liquide allait s'ouvrir encore pour le recevoir et l'engloutir avec le canot qu'il avait vu submerger si promptement.
Prolong��e, cette hallucination e?t pu ��tre funeste au jeune homme. Par bonheur, elle fut passag��re comme la cause qui l'avait produite.
Adrien rouvrit les yeux.
Ses regards se port��rent machinalement, quoique avec effroi, sur le gouffre.
D'abord, il ne vit rien, n'entendit rien que le grondement des eaux en furie.
Mais bient?t, au milieu des flots, il aper?ut une t��te, puis l'extr��mit�� sup��rieure d'un
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