Pauvre petite! | Page 9

Paul Bourget
souvent que je me demande pourquoi, en effet, je ne suis pas morte.
--Comment, Louise! Tu vis parce que telle est la volont�� divine!
--Oh! Jeanne! la volont�� divine n'est pas de nous cr��er pour nous rendre malheureuses. Je suis un ��tre maudit, moi; oui, vois-tu, quand on sait qu'on est coupable, et qu'on n'a pas le courage de changer, on souffre �� en mourir et on souhaite la mort, car elle est pr��f��rable �� cette souffrance.
Et comme je r��pliquais:
--Non. Il est pr��f��rable de revenir �� la voie droite.
--Je ne puis pas, r��pondait-elle, je me sens lache, mais pas assez, pourtant, pour ne pas en finir avec la vie. Il me serait doux de penser, qu'apr��s lui avoir sacrifi�� repos, honneur, famille, tout ce qui vit en moi, ce serait ma vie elle-m��me que je lui donnerais.
--Es-tu folle? Et penses-tu s��rieusement �� ce que tu dis? Le suicide est toujours une lachet��... tais-toi.
--Oh non! Le suicide n'est pas une lachet��. Dieu pardonne �� ceux qu'il accable; je voudrais mourir, parce que j'esp��re en la mort et l'attends comme une d��livrance!
--Allons, tu es gaie!
--Tu peux rire, toi, que te manque-t-il? On te v��n��re, on te respecte... mais moi, si je m'entends approuver, je me dis: Ils ne savent pas! Si l'on m'admire, si l'on m'applaudit quand je chante, je me dis: Est-ce que cela me l'attache davantage? Il n'est pas �� moi tout �� fait! Va, je ne suis pas heureuse, plus rien ne m'est doux; le sommeil seul me console, parce qu'il me permet d'oublier, et la mort, c'est un sommeil qui dure... On m'oubliera vite, je ne g��nerai plus rien!
Et puis, ajouta-t-elle plus bas, je ne verrai plus cette figure placide de Jules, me reprochant jusqu'�� mes pens��es.
--Jules ne te reproche rien du tout, c'est le remords qui t'agite... Renonce �� dom Pedro, et le calme que tu ressentiras te rendra le bonheur que tu repousses!
--Tu vois bien, Jeanne, qu'il me faut mourir, c'est le seul moyen de suivre ton conseil. Renoncer �� dom Pedro?... Ce serait renoncer �� l'air que je respire, fermer les yeux �� la lumi��re, comprimer mon coeur �� en arr��ter les battements... alors, que ce soit pour toujours!...
--Louise, tu t'��gares!
--Non, ma Jeanne bien-aim��e, non; seulement dom Pedro est parti, plus rien ne vit en moi, je me sens seule dans un vide effroyable; dom Pedro est parti, ma vie le suit et m'abandonne; tout ce qu'il y a en moi qui puisse vibrer encore est �� lui, �� lui �� jamais!
--Je t'en supplie, Louise, calme-toi, chasse ou au moins combats ces noires id��es, qui ��branlent ton cerveau, �� quoi bon te rendre malade?
--Je voudrais tant mourir! murmura-t-elle.
Jamais je n'oublierai le son de sa voix pronon?ant ces derni��res paroles; je me sentis frissonner, et n'eus plus le courage de discuter avec elle.
VII
Louise redoutait Mathilde. �� son point de vue, h��las coupable, elle avait raison, car Mathilde ��tait cr��ole et ses grands yeux noirs, qui avaient des reflets de soleil, rappelaient agr��ablement �� dom Pedro le ciel pur de son pays ��tincelant.
Avant le d��part du Portugais, Matt et lui se parlaient donc forc��ment comme des amis, et cette intimit�� ne choquait que ma pauvre Louise; mais ce que je n'admettais pas, c'��tait la malice avec laquelle Matt parlait de dom Pedro devant ?pauvre petite?, soulignant les attentions qu'il avait pour elle: insistant expr��s, en racontant leurs faits et gestes, sur ce qui pouvait pr��ter �� quelques sous-entendus. Autre avantage de Matt, elle connaissait le Portugal. Quand ses parents ��taient venus se fixer en France, ils s'��taient arr��t��s �� Lisbonne o�� dom Pedro les avaient re?us, car ils ��taient parents.
Il les avait gard��s quelque temps chez lui, �� peu de distance de cette ville, et le souvenir de ce s��jour lui ��tait rest�� pr��sent, comme un de ces r��ves auxquels on s'attarde quand le r��veil est venu!
Elle racontait souvent qu'il y avait r��ellement une grande po��sie dans cet endroit privil��gi�� de la nature: l'habitation ��tait simple, mais les palmiers, les orangers, les citronniers, les musas et autres arbres de ces pays ensoleill��s, rivalisaient de beaut�� et de grace. Elle disait comment, �� travers leurs longs doigts d'��meraude, on apercevait l'oc��an bleui, qui semblait leur faire un encadrement de saphir, et tout au loin, tout au loin, ce bleu transparent se reliait �� celui du ciel par une d��gradation si douce, qu'on se demandait souvent o�� finissait l'un et o�� commen?ait l'autre!
Le soir, quand le soleil semblait vouloir se baigner dans cette onde attirante, Mathilde, quoique fort jeune alors, s'��chappait de la maison et courait sur une grande terrasse bordant la mer, et l��, dans un coin connu d'elle, elle contemplait, s��duite par un charme inconnu et croissant, ce sublime spectacle, qui, toujours semblable �� lui-m��me, ne se ressemble pourtant jamais!
Tant?t la mer semblait vouloir ��teindre ce globe de feu,
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