Paula Monti, Tome II | Page 4

Eugène Süe
instant de ma vie est un supplice.... Que faire?
?Se résigner.
?Pour sortir de ma douloureuse apathie, il m'a fallu revoir cet homme, qui a causé tous mes chagrins.
?Chose étrange! je m'étais fait une idée tout autre de ce que je devais, selon moi, ressentir à son aspect.... Oui, je l'avoue avec horreur (qui saura jamais cet aveu?) mon courroux, mon exécration, ne me semblent pas à la hauteur de ses crimes....
?En vain je maudis ma faiblesse... en vain je me dis que cet homme m'a calomniée d'une manière infame; en vain je me répète qu'il a tué Rapha?l, qu'il est presque l'auteur des maux que j'endure... qu'il peut à cette heure me perdre.... Et malgré moi j'ai la lacheté de penser que c'est l'amour que je lui ai inspiré qui l'a plongé dans cet ab?me d'horribles actions.... Oserai-je le dire? je suis quelquefois capable de l'excuser.?
M. de Brévannes sentait son coeur battre avec violence, son orgueil effréné, l'aveuglement de sa passion servaient Iris au-delà de toute espérance.
Rien de plus vulgaire, de plus suranné, mais aussi de plus vrai que cet adage:--On croit ce que l'on désire.
Dans ces pages qu'il supposait écrites par madame de Hansfeld, M. de Brévannes voyait la preuve d'une impression qui tenait à la fois de la haine et de l'amour, de la terreur et de l'admiration.
Admiration à peine avouée, il est vrai, mais qui, selon la vanité de M. de Brévannes, n'était que de l'amour ignoré ou combattu.
Une circonstance assez étrange, habilement exploitée par Iris, contribuait à augmenter l'erreur de M. de Brévannes: il n'avait fait qu'un seul aveu à Paula, et, d'après les fragments que nous venons de citer, il pouvait croire que celle-ci n'avait pas répondu à sa passion par jalousie des soins apparents qu'il rendait à sa tante, enfin, il pouvait aussi croire son abominable calomnie, sinon oubliée, du moins presque excusée par ces mots prétendus de la princesse:
?C'est l'amour que je lui ai inspiré qui l'a plongé dans cet ab?me d'horribles actions; je me sens quelquefois capable de l'excuser.?
Quant à la mort de Rapha?l, que Paula aimait d'un sentiment plus vif que l'amitié, plus calme que l'amour, ce meurtre, presque justifié par l'agression de cet infortuné, était, il est vrai, une des causes qui combattaient le plus vivement l'irrésistible penchant de madame de Hansfeld pour M. de Brévannes.
Sans l'autorité du Livre noir, il e?t fallu un complet aveuglement pour expliquer ainsi la conduite de madame de Hansfeld; mais M. de Brévannes, croyant lire un écrit tracé par elle, avait trop d'orgueil et d'amour pour ne pas accepter cette interprétation d'ailleurs si naturelle.
Pourquoi M. de Brévannes se serait-il défié d'Iris? Pourquoi l'aurait-il crue capable d'une si étrange supercherie? Quant à la princesse, dans quel but aurait-elle écrit ces pages que personne ne devait lire?
En supposant que, d'accord avec Iris, elle e?t autorisé cette communication afin de persuader à M. de Brévannes que ses torts étaient effacés par l'amour, un tel dessein ne pouvait que le flatter.
On comprendra donc qu'il continua la lecture du livre noir avec un intérêt et un espoir croissants.
?Que me veut donc cet homme? Il est parvenu à se ménager une entrevue avec Iris; pauvre enfant, simple et ingénue; il lui a proposé de se charger d'une lettre pour moi, elle a refusé? Que peut-il donc me vouloir?... quelle est donc son audace? comment supporterait-il mon regard?
?Cet homme est fou... qu'a-t-il à me dire? penserait-il à excuser sa conduite? mais je....
?Hier, je n'ai pu continuer; j'ai été interrompue par l'arrivée de mon mari.
?Le prince a donc toute sa vie étudié les effets de la douleur pour porter des coups plus assurés. Mais c'est un monstre... mais il a des raffinements de tortures inou?s.... Oh! maintenant, je comprends pourquoi je ne hais pas assez M. de Brévannes... toute ma haine s'est usée contre mon bourreau.
?Et être pour la vie... pour la vie encha?née à cet homme!... Ne pouvoir briser ces liens odieux... que par la mort....
?Oh! qu'elle me frappe donc, qu'elle me frappe bient?t... puisqu'il faut que l'un de nous deux meure pour rompre cette horrible union, que ce soit moi... plut?t que mon mari...?
M. de Brévannes frémit à ces paroles, et s'écria en s'adressant à Iris:
--La princesse est donc bien malheureuse?
--Bien malheureuse!...--répondit sourdement Iris.
--Son mari est donc sans pitié pour elle?
--Sans pitié...
M. de Brévannes continua de lire:
?Oui, oui, la mort.... Je ne mérite pas de vivre... j'ai été infidèle à la mémoire de Rapha?l... je ne mérite aucune commisération; si mon mari est un monstre de cruauté, que suis-je donc moi, qui ne puis détacher ma pensée de l'homme qui a causé tous mes maux en tuant mon fiancé!...
?Oh! j'ai honte de moi-même.... Il faut que j'écrive ces horribles choses... que je les voie, là... matériellement... sous mes yeux... pour que je les croie possibles....
?Arriver, mon Dieu! à ce dernier degré
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