sincères.... Berthe vous est si
reconnaissante de ce que vous m'avez sauvé la vie, qu'après moi vous
êtes ce qu'elle aime le plus au monde.
--Oh! oui... pauvre père--dit Berthe en embrassant le vieillard.
M. de Hansfeld écoutait Pierre Raimond avec une vénération profonde.
Ce langage franc et loyal était aussi nouveau que flatteur pour lui. Ne
fallait-il pas qu'il inspirât une bien noble confiance à Pierre Raimond
pour que celui-ci ne craignît pas de lui parler ainsi devant sa fille!
Berthe elle-même, loin de se montrer confuse, embarrassée, semblait
confirmer ce que disait son père; son front rayonnait de candeur et de
sérénité.
En présence de cette noble franchise, M. de Hansfeld rougit de sa
dissimulation; il fut sur le point d'apprendre à Pierre Raimond son
véritable nom; mais il redouta l'indignation que cet aveu tardif
exciterait peut-être chez le vieux graveur, dont il connaissait d'ailleurs
les préventions anti-aristocratiques; il trouva donc une sorte de mezzo
termine dans la demi-confidence qu'il fit à Berthe et à son père.
Après quelques moments de silence, il dit à Pierre Raimond:
--Vous avez raison, mon ami... vous m'avez donné l'exemple de la
confiance... je vous imiterai.... Peut-être vous inspirerai-je un peu
d'intérêt par quelques rapports entre ma position et celle de votre fille...
car vous m'avez dit que son mariage n'était pas heureux... et c'est aussi
à mon mariage que j'ai dû d'atroces chagrins.
--Vous êtes marié?... si jeune--dit Raimond avec étonnement.
--Depuis deux ans.
--Et votre femme...--dit Berthe.
--Elle est en Allemagne--répondit M. de Hansfeld après un moment
d'hésitation.
--Et quelques passages de l'ouverture de Fidelio que jouait Berthe vous
ont sans doute rappelé de douloureux souvenirs?
--Hélas! oui. Lorsque j'ai connu la femme que j'ai épousée, j'étais dans
tout le feu de ma première admiration pour cet opéra de Beethoven....
J'ai toujours eu l'habitude d'attacher mes pensées du moment à certains
passages de la musique que j'aime... pensées qui, pour moi, deviennent
pour ainsi dire les paroles des airs que j'affectionne le plus; eh bien!
l'opéra de Fidelio me rappelle ainsi toutes les phases d'un amour
malheureux.
--Ah! maintenant je comprends votre émotion--dit Berthe en secouant
la tête avec tristesse.
--Voyons, mon ami--dit cordialement Pierre Raimond--jamais vous ne
parlerez à des coeurs plus sympathiques.
Et M. de Hansfeld raconta ainsi qu'il suit l'histoire de son mariage avec
Paula Monti; histoire vraie en tous points, sauf la substitution du nom
d'Arnold Schneider à celui de Hansfeld.
* * * * *
CHAPITRE V.
RÉCIT.
--Orphelin presque en naissant--dit le prince--j'ai été élevé par un vieux
serviteur de ma famille. Nous habitions un village retiré, nous y vivions
dans une complète solitude. Le pasteur était peintre et musicien; il
reconnut en moi quelques dispositions pour ces arts auxquels je
consacrais tout mon temps.
Ces premières années de ma vie furent paisibles et heureuses. J'aimais
le vieux Frantz comme un père; il avait pour moi les soins les plus
tendres; il me reprochait seulement de fuir les exercices violents, de ne
sortir de mon cabinet d'études que pour quelques rares promenades
dans nos belles montagnes. Je n'avais aucun des goûts de mon âge;
j'étais sérieux, taciturne, mélancolique; la musique me causait des
ravissements presque extatiques, auxquels je m'abandonnais avec
délices.... A dix-huit ans j'entrepris avec mon vieux serviteur un voyage
en Italie. Pendant deux ans j'étudiai les chefs-d'oeuvre des grands
maîtres dans les différentes villes où je m'arrêtai, voyant peu de monde
et me trouvant heureux de ma vie indolente, rêveuse et contemplative....
J'arrivai à Venise; mon culte pour les arts avait jusqu'alors rempli ma
vie, l'admiration passionnée qu'ils m'inspiraient suffisait à occuper mon
coeur.... A Venise, le hasard me fit rencontrer une femme dont
l'influence devait m'être funeste. Cette femme, que j'ai épousée, se
nommait Paula Monti....
--Elle était belle?--demanda Berthe.
--Très belle... mais d'une beauté sombre.... Étrange contraste! j'ai
toujours été faible et timide, je me suis épris d'une femme au caractère
énergique et viril.... C'était mon premier amour.... Sans doute j'obéis
plus à l'instinct, au besoin d'aimer, qu'à un sentiment réfléchi, et je
devins passionnément amoureux de Paula Monti; elle accueillit mes
soins avec indifférence; je ne me rebutai pas; elle me semblait très
malheureuse. J'eus quelque espoir, je redoublai d'assiduités, et je
demandai formellement sa main à sa tante. J'étais riche alors, ce
mariage lui parut inespéré; elle y consentit. J'eus avec Paula une
entrevue décisive.... Je dois le dire, elle m'avoua qu'elle avait
ardemment aimé un homme qui devait être son mari; et quoique cet
homme fût mort, son souvenir vivait encore si présent et si cher à sa
pensée, qu'il l'absorbait tout entière, et que mon amour lui était
indifférent. Cet aveu me fit mal; mais je vis dans la franchise de Paula
une garantie pour l'avenir; je ne désespérai pas de vaincre, à force de
soins, la froideur
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