Paula Monti, Tome II | Page 3

Eugène Süe
car j'ai
ainsi obtenu ce que je désirais dans son intérêt et dans le mien.... Mais
elle est rêveuse et triste, dites-vous?
--Oui... quelquefois elle reste longtemps comme accablée... puis tout à
coup elle se lève impétueusement et marche pendant quelque temps
avec agitation.
--Et à quoi attribuez-vous ses préoccupations?
--Je ne sais....
--Ce livre que vous hésitez à me confier et que je n'ose plus vous
demander nous l'apprendrait.
--Oh! je ne tiens pas à savoir les secrets de la princesse.... C'est pour

vous être agréable, pour vous obéir que j'ai soustrait ce livre... la clef
est à son fermoir, je ne l'ai pas ouvert.
--Eh bien! ouvrons-le.... Maintenant ce que vous appelez la méchante
action est commis. Il ne s'agit plus que de me rendre un grand service.
Hésitez-vous encore? Je sais que ne n'ai d'autre droit à cette bonté de
votre part que....
--Tenez, tenez, lisez vite--dit Iris en détournant la tête et en donnant
l'album à M. de Brévannes.
--Ce que je fais est infâme; mais je ne puis résister à l'influence que
vous avez sur moi.
--Influence d'une volonté ferme--pensa M. de Brévannes en ouvrant
précipitamment le livre noir, où il lut ce qui suit, pendant qu'Iris,
accoudée à la cheminée, la figure dans ses mains, et n'ayant pas l'air de
voir sa dupe, l'examinait attentivement dans la glace.
* * * * *

CHAPITRE II.
PENSÉES DÉTACHÉES.
Iris avait écrit les passages suivants d'une main en apparence émue et
mal affermie, comme si les idées se fussent pressées confuses et
désordonnées, dans la tête de la princesse:
«Je viens de le revoir à la Comédie-Française. Toutes mes douleurs,
tous mes regrets se sont réveillés à son aspect.
«Il me poursuivra donc partout.... Jamais je n'ai éprouvé une
commotion plus violente; être obligée de tout cacher aux regards
pénétrants du monde, aux regards indifférents de mon mari.... Est-ce la
haine, l'indignation, la colère qui m'ont ainsi bouleversée?

«Oui... n'est-ce pas de la haine, de l'indignation, de la colère que je dois
ressentir contre celui qui a tué le fiancé à qui j'étais promise et que
j'aimais depuis mon enfance? Ne dois-je pas exécrer celui qui m'a
déshonorée par une calomnie infâme?... Oh! oui... je le hais... je le hais,
et pourtant!...»
Ici se trouvaient quelques mots absolument indéchiffrables; ils
terminaient ce premier passage, et fournirent à M. de Brévannes le texte
d'une foule de conjectures.
Ces mots et pourtant! lui semblaient surtout une réticence d'un heureux
augure... il continua.
«J'étais tellement épouvantée de ma pensée de tout à l'heure, que je n'ai
osé continuer--ni confier au papier.... Hélas! mon seul confident... ce
qui causait mon effroi....
«Je devrais dire ma honte.... Quel abîme que notre âme!... quels
contrastes!... Oh! non, non; je hais cet homme.... Il y a dans la
persistance avec laquelle il a poursuivi son dessein quelque chose
d'infernal;... et si ce que je ressens à son égard diffère de la haine, c'est
qu'un vague effroi se joint à cette haine. Oui, c'est cela sans doute.... Et
puis il s'y joint encore une sorte de regret de voir une volonté si ferme,
une opiniâtreté si grande employées à mal faire, à nuire, à calomnier!
«En se vouant à de nobles desseins quels admirables résultats n'eût-il
pas obtenus!...
«Oui, je suis épouvantée quand je songe à l'habileté avec laquelle il est
parvenu à s'introduire autrefois chez nous, à se rendre indispensable à
nos intérêts; avec quelle dissimulation impénétrable il m'avait caché
son amour... dont il ne m'a parlé qu'une seule fois; avec quelle
indignation je l'ai accueilli....
«Ne devais-je pas croire, quoiqu'il m'ait dit le contraire, que les soins
qu'il rendait à ma tante étaient sérieux? M'étais-je trompée? Voulais-je
me tromper à cet égard?

«L'abominable calomnie dont j'ai été victime ne m'a pas même instruite
de la vérité. Pauvre tante! que de chagrins elle m'a causés, sans le
savoir!...
«Il n'a manqué à cet homme que de placer mieux son amour, son
dévouement passionné... Sans doute, il eût vaillamment aimé une
femme libre de son coeur.... Mais pourquoi m'a-t-il aimée, moi? N'étais
je pas fiancée à Raphaël? Ne m'avait-il pas souvent entendu parler de
notre prochain mariage?... Et après un premier et dernier aveu... il a
recouru à la plus infâme calomnie pour déshonorer celle à qui une fois,
une seule fois, il avait parlé d'amour....
«Il me semble que je suis soulagée en épanchant ainsi les pensées qui
me sont si douloureuses.... Oui, cela m'aide à lire dans mon coeur....
«Hélas! j'étais déjà si malheureuse! avais-je besoin de ce surcroît de
chagrins?... Oh! soyez maudit vous qui m'avez presque forcée à un
mariage sans amour... en tuant mon fiancé... que j'aimais tendrement....
«Oui; je l'aimais d'un attachement d'enfance qui s'était changé avec les
années en un sentiment plus vif que l'amitié, mais plus calme que
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