Paula Monti, Tome II | Page 2

Eugène Süe
son double rôle pour augmenter la confiance
de M. de Brévannes, feignant de pas avoir à se louer de sa maîtresse
afin d'éloigner tout soupçon de connivence, et paraissant très flattée des
galantes cajoleries de M. de Brévannes.
Elle lui laissait entendre que madame de Hansfeld semblait éprouver à
son égard une sorte de colère mêlée d'intérêt... bizarre ressentiment

qu'Iris ne s'expliquait pas, disait-elle, car elle était censée ignorer ce qui
s'était passé à Florence entre M. de Brévannes et Paula. Telle était la
source des secrètes espérances du mari de Berthe, espérances nées de
son aveugle amour-propre et augmentées par les fausses confidences
d'Iris.
Ceci posé, nous conduirons le lecteur dans la petite maison que
possédait M. de Brévannes dans la rue des Martyrs, et qu'il occupait
alors tout seul.
C'était le lendemain du jour où Iris lui avait remis le prétendu billet de
la princesse. En le recevant, M. de Brévannes avait osé pour la
première fois parler du livre noir, de son désir de le posséder pendant
un moment.
Iris, après des difficultés sans nombre, avait répondu qu'il serait
peut-être possible de soustraire ce livre le lendemain, pour quelques
heures seulement, la princesse devant aller passer la matinée chez
madame de Lormoy, tante de M. de Morville.
M. de Brévannes avait demandé à la jeune fille d'apporter le précieux
mémento rue des Martyrs; il le lirait en sa présence et le lui remettrait à
l'instant avec la récompense due à un tel service, récompense qu'elle
promit d'accepter pour ne pas éveiller les soupçons de M. de
Brévannes.
Ce dernier attendait donc Iris dans le petit salon dont nous avons parlé.
Si l'on n'a pas oublié le caractère de M. de Brévannes, son indomptable
opiniâtreté, son orgueil, son acharnement à réussir dans ce qu'il
entreprenait; si l'on pense que sa volonté, son obstination, sa vanité
étaient mises en jeu par un amour profond, exalté, contre lequel il se
débattait depuis deux ans, on concevra avec quelle violence passionnée
il désirait être aimé de madame de Hansfeld, cette femme si séduisante,
si enviée, si respectée.
Il était midi. M. de Brévannes attendait Iris avec une extrême
impatience dans la petite maison de la rue des Martyrs.

Madame Grassot, gardienne de cette mystérieuse demeure, restait à
l'étage supérieur. La jeune fille arriva; M. de Brévannes courut à sa
rencontre.
Iris paraissait tremblante et effrayée. M. de Brévannes la rassura et la
fit entrer dans le salon; elle tenait à la main un petit album relié en
maroquin noir et fermé par une serrure d'argent. Frémissant de joie et
d'impatience à la vue de ce livret, M. de Brévannes prit sur la cheminée
une bague ornée d'un assez gros brillant, la passa au doigt d'Iris, malgré
sa faible résistance.
--De grâce, charmante Iris--lui dit-il--recevez ce faible gage de ma
reconnaissance. Cette jolie main n'a pas besoin d'ornement, mais c'est
un souvenir que je vous demande en grâce de porter.... Vous m'avez
promis de l'accepter.
--Sans doute... mais je ne sais si je dois... ce diamant....
--Qu'importe le diamant!... c'est seulement de la bague qu'il s'agit.
--Et c'est aussi la bague que j'accepte--dit Iris avec un sourire d'une
tristesse hypocrite--puisque ma condition m'expose à de certaines
récompenses.
--Si j'ai choisi ce diamant--reprit M. de Brévannes--c'est qu'il offre
l'emblème de la pureté et de la durée de ma reconnaissance.
Et il tendit la main vers le livre noir.
--Non, non--dit Iris en paraissant encore combattue par le devoir--cela
est horrible.... Je me damne pour vous.
--Mais quel mal faites-vous?... c'est tout au plus une indiscrétion... ma
chère Iris; puisque votre maîtresse est souvent injuste envers vous, c'est
de votre part une petite vengeance permise... et innocente.
--Oh! je suis inexcusable, je le sens... et puis une fois que vous aurez lu
ce livre... vous oublierez la pauvre Iris... vous n'aurez plus besoin

d'elle.... Mais de quoi me plaindrai-je? n'aurez-vous pas d'ailleurs payé
ma trahison--ajouta-t-elle avec amertume.
--Cette petite fille s'est affolée de moi--pensa M. de
Brévannes--comment diable m'en débarrasserai-je? Est-ce que
maintenant qu'elle a ma bague elle ne voudrait plus se dessaisir du
livre?
Il reprit tout haut d'un ton pénétré:
--Vous vous trompez, Iris. D'abord, je ne me croirai jamais quitte
envers vous.... Quant à vous oublier... ne le craignez pas.... Pour mon
repos, je voudrais le pouvoir.... Il faut toute la gravité des choses dont
j'ai à entretenir votre maîtresse pour me distraire un peu de mon amour
pour vous.... Iris, car je vous aime.... Mais ne parlons pas de cela
maintenant.... De graves intérêts sont en jeu.... Comment se trouve
votre maîtresse?
--Elle est rêveuse et triste depuis qu'elle vous a accordé l'entrevue que
vous demandiez si impérieusement.
--Elle m'y a forcé... J'étais si malheureux de son refus que je me suis
oublié jusqu'à lui faire cette menace, que je ne regrette plus,
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