peu près synonyme de
sauter. Nous aurons, je crois, l'explication de cet écart de signification
en nous reportant au substantif bond. Ce substantif, dont on ne trouve
des exemples que dans le cours du quatorzième siècle, n'a pas
l'acception de grand bruit, de retentissement, qui appartient à l'emploi
primitif du verbe bondir; le sens propre en est mouvement d'un corps
qui, après en avoir heurté un autre, rejaillit. C'est par le sens de
rejaillissement que les deux acceptions, la primitive et la dérivée,
peuvent se rejoindre. Un grand bruit, un retentissement, a été saisi
comme une espèce de rejaillissement; et, une fois mis hors de la ligne
du sens véritable, l'usage a suivi la pente qui s'offrait, a oublié
l'acception primitive et étymologique, et en a créé une néologique,
subtile en son origine et très éloignée de la tradition.
Charme.--Le mot charme, qui vient du latin carmen, chant, vers, ne
signifie au propre et n'a signifié originairement que formule
d'incantation chantée ou récitée. C'est le seul sens que l'ancienne langue
lui attribue; même au seizième siècle il n'a pas encore pris l'acception
de ce qui plaît, ce qui touche, ce qui attire; du moins mon dictionnaire
n'en contient aucun exemple. C'est vers le dix-septième siècle que cet
emploi néologique s'est établi. La transition est facile à concevoir.
Aujourd'hui la signification primitive commence à s'obscurcir, à cause
que l'usage du charme incantation, banni tout à fait du milieu des gens
éclairés, se perd de plus en plus parmi le reste de la population. Mais
considérez à ce propos jusqu'où peut aller l'écart des significations: le
latin carmen en est venu à exprimer les beautés qui plaisent et qui
attirent. L'imaginer aurait été, si l'on ne tenait les intermédiaires, une
bien téméraire conjecture de la part de l'étymologiste.
Chercher.--Le latin a quaerere; notre langue en a fait quérir, avec la
même signification. Le latin vulgaire avait circare, aller tout autour,
parcourir; notre langue en fit chercher, non pas avec l'acception de
quérir, mais avec celle de l'étymologie, parcourir: «Toute France a
cerchie (il a parcouru toute la France)», dit un trouvère. Jusque-là tout
va bien; et chacun de ces deux mots reste sur son terrain. Mais, à un
certain moment, chercher perd le sens de parcourir et prend celui de
quérir. C'est un fort néologisme de signification, qui paraît avoir
commencé dès le treizième siècle. Par quels intermédiaires a-t-on passé
du sens primitif au sens secondaire? De très bonne heure, à côté du sens
de parcourir, chercher eut celui de porter les pas en tous sens, et même
de porter en tous sens la main, et l'on disait chercher un pays, chercher
un corps, ce que nous exprimerions aujourd'hui par fouiller un pays,
fouiller un corps. A ce point nous sommes très près du sens moderne de
chercher, qui en effet s'impatronisa dans l'usage et en bannit les deux
anciennes acceptions de ce verbe. Bien plus, à mesure que le sens de
s'efforcer de trouver a prédominé dans chercher, quérir est tombé en
désuétude, et aujourd'hui il est à peine usité. Le néologisme, fort ancien
il est vrai, dont chercher a été l'objet, n'a pas été heureux. Il eût mieux
valu conserver le plein emploi de quérir, qui est le mot latin et propre,
et garder chercher en son acception primitive, incomplètement
suppléée par parcourir.
Chère.--Ce mot vient du latin vulgaire et relativement moderne cara,
qui signifiait face, et qui était lui-même une dérivation du grec .
Cette altération du sens primitif, ce sont les Latins qui s'en sont chargés.
Puis est venu le vieux français qui n'emploie le mot chère qu'au sens de
face, de visage. Faire bonne chère, c'est faire bon visage; de là à faire
bon accueil il n'y a pas loin; aussi cette acception a-t-elle eu cours
jusque dans le commencement du dix-septième siècle. Ces deux sens
sont aujourd'hui hors d'usage; le nouveau, qui les a rejetés dans la
désuétude, est bien éloigné: faire bonne chère, mauvaise chère, c'est
avoir un bon repas, un mauvais repas. Sans doute, un bon repas est un
bon accueil; mais pour quelqu'un qui ignore l'origine et l'emploi
primitif du mot, il est impossible de soupçonner que le sens de visage
est au fond de la locution. Ce qui est pis, c'est qu'évidemment l'usage
moderne s'est laissé tromper par la similitude de son entre chère et chair;
chair l'a conduit à l'idée de repas, et l'idée de repas a expulsé celle
d'accueil.
Chétif.--Cet adjectif vient du latin captivus, captif, prisonnier de guerre;
aussi dans l'ancienne langue a-t-il le sens de prisonnier. Mais de très
bonne heure cette signification primitive se trouve en concurrence avec
la signification dérivée, celle de misérable. Les Latins ne sont point les
auteurs de la dérivation que le mot a subie; ce sont les Romans qui l'ont
ainsi détourné; détournement qui,
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