fort respectable, conservant avec fidélité les principes mêmes et les grandes lignes de la langue. Mais il n'a pas conscience de l'office qu'il remplit; et il est très susceptible de céder à de mauvaises suggestions, et très capable de mettre son sceau, un sceau qu'ensuite il n'est plus possible de rompre, à ces facheuses déviations. On le trouvera, dans ce petit recueil, plus d'une fois pris en flagrant délit de malversation à l'égard du dép?t qui lui a été confié; mais on le trouvera aussi, en d'autres circonstances, ingénieux, subtil et plein d'imprévu au bon sens du mot.
Cette multitude de petits faits, dispersés dans mon dictionnaire, est ici mise sous un même coup d'oeil. Elle a l'intérêt de la variété; et, en même temps, comme ce sont des faits, elle a l'intérêt de la réalité. La variété amuse, la réalité instruit.
***
Accoucher.--Accoucher n'a aujourd'hui qu'une acception, celle d'enfanter, de mettre au monde, en parlant d'une femme enceinte. Mais, de soi, ce verbe, qui, évidemment, contient couche, coucher, est étranger à un pareil emploi. Le sens propre et ancien d'accoucher, ou, comme on disait aussi, de s'accoucher, est se mettre au lit. Comme la femme se met au lit, se couche pour enfanter, le préliminaire a été pris pour l'acte même, exactement comme si, parce qu'on s'assied pour manger à table, s'asseoir avait pris le sens de manger. Accoucher n'a plus signifié qu'une seule manière de se coucher, celle qui est liée à l'enfantement; et ce sens restreint a tellement prévalu, que l'autre, le général, est tombé en désuétude. Il est bon de noter qu'il se montre de très bonne heure; mais alors il existe c?te à c?te avec celui de se mettre au lit. L'usage moderne réservait à ce mot une bien plus forte entorse; il en a fait un verbe actif qui devrait signifier mettre au lit, mais qui, dans la tournure qu'avait prise la signification, désigna l'office du chirurgien, de la sage-femme qui aident la patiente. Je ne crois pas qu'il y ait rien à blamer en ceci, tout en m'étonnant de la vigueur avec laquelle l'usage a, pour ce dernier sens, manipulé le mot. C'est ainsi que l'artiste remanie souverainement l'argile qu'il a entre les mains.
Arriver.--De quelque fa?on que l'on se serve de ce verbe (et les emplois en sont fort divers), chacun songe à rive comme radical; car l'étymologie est transparente. En effet, dans l'ancienne langue, arriver signifie uniquement mener à la rive: ?Li vens les arriva.? Il est aussi employé neutralement avec le sens de venir à la rive, au bord: ?Saint Thomas l'endemain en sa nef en entra; Deus (Dieu) li donna bon vent, à Sanwiz arriva.? Chose singulière, malgré la présence évidente de rive en ce verbe, le sens primordial s'oblitéra; il ne fut plus question de rive: et arriver prit la signification générale de venir à un point déterminé: arriver à Paris; puis, figurément: arriver aux honneurs, à la vieillesse. Mais là ne s'est pas arrêtée l'extension de la signification. On lui a donné pour sujet des objets inanimés que l'on a considérés comme se mouvant et atteignant un terme: ?De grands événements arrivèrent; ce désordre est arrivé par votre faute.? Enfin la dernière dégradation a été quand, pris impersonnellement, arriver a exprimé un accomplissement quelconque: ?Il arriva que je le rencontrai.? Ici toute trace de l'origine étymologique est effacée; pourtant la cha?ne des significations n'est pas interrompue. L'anomalie est d'avoir expulsé de l'usage le sens primitif; et il est facheux de ne pas dire comme nos a?eux: Le vent les arriva.
Artillerie.--Ce mot est un exemple frappant de la force de la tradition dans la conservation des vieux mots, malgré le changement complet des objets auxquels ils s'appliquent. Dans artillerie, il n'est rien qui rappelle la poudre explosive et les armes à feu. Ce mot vient d'art, et ne signifie pas autre chose que objet d'art, et, en particulier, d'art mécanique. Dans le moyen age, artillerie désignait l'ensemble des engins de guerre soit pour l'attaque, soit pour la défense. La poudre ayant fait tomber en désuétude les arcs, arbalètes, balistes, chateaux roulants, béliers, etc., le nom d'artillerie passa aux nouveaux engins, et même se renferma exclusivement dans les armes de gros calibre, non portatives. Il semblait qu'une chose nouvelle d?t amener un nom nouveau; il n'en fut rien. Le néologisme ne put se donner carrière; et, au lieu de recourir, comme on e?t fait de notre temps, à quelque composé savant tiré du grec, on se borna modestement et sagement à transformer tout l'arsenal à cordes et à poulies en l'arsenal à poudre et à feu. Seulement, il faut se rappeler, quand on lit un texte du quatorzième siècle, qu'artillerie n'y signifie ni arquebuse, ni fusil, ni canon.
Assaisonner.--Le sens propre de ce mot, comme l'indique l'étymologie, est: cultiver en saison propre, m?rir à
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