vers lui à droite et à gauche, devant et derrière,--amples vomitoires, où les régiments pourront se déployer sans obstacles, où l'artillerie et la cavalerie chemineront à l'aise, où le canon, enfilant à pleine gueule ces belles rues toutes droites, tracées à souhait pour lui, fera rafle à tout coup. Une caserne s'élève à chaque point de jonction, et les forts dominent tout cela. Les professeurs de barricades auront désormais bien à faire. Le métier est gaté.
Si je n'admire pas beaucoup, comme on l'a vu, les embellissements du Paris impérial, je ne puis trop admirer, en revanche, le plan stratégique suivant lequel ils ont été dirigés. En vérité, c'est à croire que l'architecte en chef de la ville est un officier supérieur du génie militaire, ou que M. le préfet de la Seine a fait ses études à l'école polytechnique et les a complétées à l'école d'application de Metz. Vauban n'e?t pas préparé avec plus de soin les opérations d'un siége. Voyez plut?t. Le boulevard Sébastopol, qui traverse tout Paris, en coupant la rue de Rivoli à angle droit, et qui met le palais du Luxembourg en communication avec les quais, les autres boulevards et la gare de l'Est, isole d'un bout à l'autre les deux redoutables rues Saint-Denis et Saint-Martin, tient en respect la Halle et le noyau des ruelles environnantes, et les vieux centres historiques de l'émeute: les rues Aubry-le-Boucher, du Clo?tre-Saint-Merry, etc. Sur la rive gauche, la partie supérieure de la même voie et le boulevard Saint-Germain, avec la rue des écoles, lancés à travers le foyer turbulent du faubourg Saint-Marceau, divisent en tron?ons et trouent par de larges saignées le repaire des étudiants et celui des chiffonniers. Les barrières de l'école de médecine et de l'école de droit, comme celles de la rue Clopin, sont percées à jour. Il reste encore quelque chose à faire en pleine montagne Sainte-Geneviève: on le fera, gardez-vous d'en douter.
Passons la Seine. Le boulevard Mazas et celui du Prince-Eugène, qui vont se réunir tous deux à la barrière du Tr?ne, commandent ainsi au faubourg Saint-Antoine, que la large rue du même nom coupait déjà par le milieu. Ce boulevard du Prince-Eugène, qui a recueilli tant de malédictions pour le terrible abatis de théatres qu'il a fait à son premier pas, on se f?t bien gardé d'y renoncer, e?t-il d? soulever mille fois plus d'anathèmes encore. Il n'en est pas un seul dans Paris qui ait été plus adroitement con?u, pas un qui ait fait plus de besogne d'un coup. Il troue en plein centre un quartier populeux et remuant, il ouvre et dégage le chemin de Vincennes, où il y a, comme on sait, un très-joli fort, plein de jolis soldats; il met en rapport la caserne du Chateau-d'Eau avec les chasseurs de la forteresse; enfin il complète de la manière la plus ingénieuse, après le boulevard Mazas d'une part, après les boulevards Bourdon et Beaumarchais de l'autre, une combinaison grace à laquelle on peut prendre à tête et à queue ce formidable faubourg, qui se souvient un peu trop d'avoir renversé la Bastille, et l'investir pour monter à l'assaut de ses barricades. C'est une oeuvre d'artiste, et l'auteur a d? s'y mirer avec complaisance.
Le point de départ du boulevard du Prince-Eugène s'appuie sur le flanc gauche d'une caserne, placée là à l'intersection de toutes ces grandes voies, comme le temple du genius loci. Sur le flanc droit de la même caserne s'appuiera le point de départ du boulevard Magenta: c'est le vieux mythe d'Antée qui reprenait des forces en touchant la terre. Le boulevard Magenta continue celui du Prince-Eugène en ligne droite, et, croisant celui de Strasbourg, il coupe par le milieu d'autres quartiers inquiétants, entre les boulevards intérieurs et les boulevards extérieurs. Ainsi seront dominés et tenus en échec les faubourgs Saint-Denis, Saint-Martin et Poissonnière, et s'établira une communication directe entre la gare de l'Est et la fameuse caserne, centre où tout aboutit, et autour duquel rayonnent toutes les voies, comme jadis autour du forum.
Jetez maintenant les yeux sur l'H?tel de Ville, le but naturel de tous les émeutiers, le siége de tous les gouvernements provisoires, le point le plus important et le plus disputé de Paris, aux jours de révolutions. Aujourd'hui l'H?tel de Ville, dégagé de toutes parts, et trois fois pour une, par le quai, l'avenue Victoria et la continuation de la rue de Rivoli, en outre proprement flanqué à l'arrière d'une caserne respectable, ne peut plus devenir l'objet d'une surprise ni d'un coup de main.
Avons-nous besoin de poursuivre la démonstration? Restons-en là. Le lecteur pourrait se lasser de ces explications fastidieuses, qui étaient nécessaires pour établir un point dont ceux-là mêmes qui s'en doutent ne se doutent pas assez. Pas un détail n'a été négligé dans l'ensemble, et le gouvernement a retourné d'avance tous les atouts pour
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