comme sur les
côtés. Pour éviter une courbe invisible à l'oeil et insensible au pied, on
fait des percées à travers le terrain comme pour les tunnels de chemins
de fer. Un beau jour on taillera en pleine butte Montmartre, on ouvrira
une voie géométrique à coups de pics et de sondes en creusant la
montagne Sainte-Geneviève, dût-on démolir le Panthéon, ou l'isoler sur
une cime, au haut d'un escalier de cinquante degrés. Il y a des maisons,
sur les flancs du boulevard Malesherbes, qui sont perchées dans la nue,
et aux extrémités de la rue de Rivoli, qui sont juchées sur des trottoirs
de huit à dix marches; il y en a eu longtemps, de chaque côté du
boulevard de Sébastopol (il en reste quelques-unes) qui semblaient
bâties sous terre et extraites des fouilles d'un nouveau Pompéi: le sol
était à la hauteur du deuxième étage. Au coin de la rue
Monsieur-le-Prince et de la place Saint-Michel, il faut escalader une
dizaine de degrés pour arriver aux rez-de-chaussée de droite, et en
descendre presque autant pour arriver à ceux de gauche. À la jonction
de la rue Victor-Cousin avec la rue Soufflot, on trouve d'un côté des
ravins, de l'autre des montagnes, qui communiquent ensemble par un
système de talus et d'escaliers compliqués. En face du Panthéon, on
montait au Luxembourg comme à un grenier, et l'on y monte encore
comme à un entresol; ailleurs, on descend comme dans une cave. Le
quai de la Mégisserie et certaines ruelles adjacentes, les rues du
Marché-Saint-Jean et de la Verrerie, le confluent de la rue de la Harpe
avec le boulevard de Sébastopol, sur beaucoup de points les abords du
boulevard Saint-Germain et de la rue des Écoles, offrent le spectacle de
quartiers pris d'assaut. La rue Baillif n'arrive à joindre le Palais-Royal
que par un escalier de quinze marches. Les maisons de la rue
Bellefonds sont campées sur des escarpements sauvages et dominent de
dix mètres le square Montholon, où l'on descend comme dans un
entonnoir. La rue Marbeuf est divisée dans sa longueur en deux parties
parallèles, dont l'une surplombe de quinze pieds et forme cul-de-sac.
Les alentours du rond-point de l'Étoile, l'avenue de Saint-Cloud, le
quartier Beaujon, défient toute description: il est prudent de faire son
testament avant de s'aventurer dans cet inextricable dédale tout hérissé
de ravins, de contre-forts, d'échelles et d'escaliers à pic[4]. La traversée
de la Bérésina n'est qu'une plaisanterie près de la traversée de la rue du
Bel-Air, et Dieu sait ce qui sortira de ce provisoire et combien de temps
il doit durer. C'est la frénésie, l'ivresse, la folie furieuse de la ligne
droite; c'est le chaos mathématique. Sur plus d'un point, M. le préfet de
la Seine a trouvé moyen d'arriver à la confusion par l'excès et l'abus de
la géométrie. Au rebours de Caussidière, il lui est arrivé de faire du
désordre avec de l'ordre.
[Note 4: Voir, à défaut des quartiers eux-mêmes, la série d'articles
extrêmement curieux publiés par M. de Coëtlogon, dans la Gazette de
France, en 1864 et 1865.]
Dans la partie supérieure du boulevard Saint-Denis, les tranchées
entreprises pour le passage du boulevard Magenta et les travaux qui en
ont été la suite avaient produit les résultats les plus inouïs. Ce quartier
semblait avoir été bouleversé par un cataclysme dont on a cherché à
régulariser les traces sans pouvoir les faire entièrement disparaître. Ici,
c'était un trottoir bordé de balustrades qu'on avait ménagé devant
quelques boutiques, et qui filait en terrasse à hauteur de premier étage,
absolument comme un balcon; là, c'étaient des maisons étagées de haut
en bas, et qu'on reprenait en sous-oeuvre pour faire des boutiques à la
place des caves; ailleurs, un pont suspendu traversant la rue et servant
de voie d'accès au bureau d'une fonderie, qui anciennement était au
rez-de-chaussée et se trouvait maintenant au premier, sans avoir changé
de place; ailleurs, des portes cochères qui s'ouvraient à deux battants à
hauteur d'entresol. Le boulevard Bonne-Nouvelle, près la porte
Saint-Denis, et surtout le boulevard Saint-Martin, font l'effet d'une
gorge sombre entre deux montagnes. En s'accoudant aux garde-fous et
en se penchant au-dessus du puits de l'abîme, on a le vertige à voir
tourbillonner sous ses pieds cette flotte de fiacres et d'omnibus dans
une mer de macadam. En Suisse, sur le mont Blanc, ce serait
pittoresque; à Paris, devant le théâtre de M. Mélingue, c'est fort laid, et
de plus c'est une contradiction. Comment se fait-il qu'on n'ait point
abattu, afin de niveler le sol, ces quelques douzaines de maisons
juchées en observatoire à droite et à gauche de la chaussée, comme
pour faire la nique à l'architecture égalitaire du nouveau Paris? Est-ce
respect humain?--Bah!--Est-ce économie?--Fi donc!--C'est tout
simplement que M. Haussmann n'était pas encore préfet de la Seine.
III
L'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ
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