d'une caserne respectable, ne
peut plus devenir l'objet d'une surprise ni d'un coup de main.
Avons-nous besoin de poursuivre la démonstration? Restons-en là. Le
lecteur pourrait se lasser de ces explications fastidieuses, qui étaient
nécessaires pour établir un point dont ceux-là mêmes qui s'en doutent
ne se doutent pas assez. Pas un détail n'a été négligé dans l'ensemble, et
le gouvernement a retourné d'avance tous les atouts pour lui.
Ainsi partout l'émeute est déboutée et réduite en vasselage; partout ses
quartiers généraux sont traqués dans leurs repaires et pris entre deux
feux. Les nouvelles voies, larges, dégagées, découvertes, s'allongent en
lignes droites au lieu de s'arrondir en lignes courbes comme les
anciennes, et ce qu'on prend pour un simple amour de la symétrie est de
plus un profond calcul stratégique. Celles mêmes qui paraissent tracées
sans but direct, cette multitude d'avenues géométriques qui vont à
l'aventure, d'ici, de là, à droite, à gauche, se poursuivant, se croisant,
partant tout à coup comme des fusées sous vos pieds et courant à perte
de vue n'importe où, d'une allure aussi intrépide que si elles allaient
quelque part; ces gigantesques boulevards, en particulier, qui rayonnent
par douzaines autour de l'Arc de Triomphe et vont tête baissée, à
travers ravins et montagnes, aboutir aux endroits les plus extravagants
et se jeter dans le vide, concourent encore indirectement à la réalisation
du même plan.
À ces causes de déroute pour l'insurrection, joignez-en une autre, qui a
sa valeur: c'est que le macadam a supprimé le pavé, cet élément
essentiel de la barricade. Voilà ce qui protége le macadam contre les
plus vives et les plus justes récriminations.
D'ailleurs, je ne suis pas de ceux pour qui c'est là de tous points une
invention damnable, et je le trouve précieux aux jours de soleil, du
moins pour les gens qui ont cinquante mille livres de rentes. Comme la
plupart des transformations de Paris nouveau, il tend à favoriser le
développement du luxe, en nécessitant l'emploi et en multipliant par là
même le nombre des équipages. Quant aux piétons assez mal avisés
pour ne pas comprendre les nécessités d'une ville de luxe, c'est à eux à
se garer de la poussière; et quant aux arbres, ils ont déjà tant d'autres
chances d'asphyxie, qu'une de plus ne signifie pas grand'chose: il serait
bon seulement de les faire épousseter matin et soir. Si donc il n'y avait
que des voitures à Paris et s'il y faisait toujours beau, il faudrait élever
des statues à Mac-Adam. Mais le climat parisien est aussi variable que
la physionomie d'une jolie femme: il n'use du soleil que dans les
occasions solennelles, en guise de distraction au brouillard et
d'antithèse à la pluie, et l'on sait quelle chose homérique, inénarrable et
sans nom, devient le macadam par les jours de pluie.
Le macadam a, de plus, le tort grave d'exiger un continuel entretien de
toilette, non-seulement fort dispendieux pour la bourse du Parisien,
mais encore plus désagréable à la plante des pieds. Il engloutit des
océans de cailloux, qu'il ne rend jamais. Le proverbe populaire: Pavé
de bonnes intentions, ne peut mieux s'appliquer qu'au macadam,
lorsqu'il est neuf ou qu'on le rempierre: j'en appelle à tous ceux qui ont
traversé une rue de Paris dans ces dures circonstances. Si l'on ne voulait
qu'un terrain égal et doux à la marche, il y aurait mieux que cela, et je
conseillerais à ceux que ce soin regarde d'aller faire un tour en
Hollande et d'y étudier ce pavage uni et propre comme un parquet, que
la pluie même ne fait que laver sans le salir. Mais on veut toute autre
chose, et la vraie raison est justement celle qu'on ne dit pas.
L'administration a des pudeurs de vierge qui nous étonnent toujours de
sa part.
Ainsi donc, sur ce chapitre des transformations de Paris, il serait bon
désormais de s'entendre. Qu'on nous parle du réseau stratégique des
nouvelles rues, qu'on nous les montre savamment tracées, combinées
avec art, comme autant de parallèles, de sapes et de circonvallations,
destinées à réduire une place rebelle; qu'on nous présente le nouveau
Paris comme un vaste terrain soumis aux servitudes militaires et
abandonné aux opérations des officiers du génie,--gens aimables,
d'ailleurs, et qui ne demandent pas mieux que d'agrémenter çà et là
leurs travaux par un petit jardin, et de voiler quelquefois leurs tranchées
derrière un bouquet d'arbres ou un kiosque,--à la bonne heure,
j'admirerai sans restriction. Encore une fois, je comprends et j'admets
que le premier droit d'un gouvernement soit de prendre des précautions
contre l'émeute. Mais il faudrait avoir le courage du mot propre et ne
pas parler d'embellissements plus qu'il ne convient, car alors je
n'admire plus du tout.
Ce caractère mathématique des rues se retrouve dans leurs moindres
détails. Elles fauchent tout en droite ligne sur le sol
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