Périclès | Page 3

William Shakespeare
nourris De la chair de la mère qui m'engendra: Je cherchai un époux, et dans ma recherche Je le trouvai dans un père. Il est père, fils et tendre époux; Moi, je suis mère, femme, et cependant sa fille. Comment toutes ces choses peuvent-elles être en deux personnes? Si tu veux vivre, devine-le.
Triste alternative de cette dernière ligne! Mais, ? vous, puissances qui avez donné au ciel d'innombrables yeux pour voir les actions des hommes, pourquoi n'obscurcissent-ils pas sans cesse leurs regards, si ce que je viens de lire en palissant est véritable? (Il prend la main de la princesse.) Beau cristal de lumière, je vous aimais et vous aimerais encore si cette noble cassette ne contenait pas le crime; mais je dois vous dire....--Ah! mes pensées se révoltent, car il n'est pas honnête homme celui qui, sachant que le crime est en dedans, touche la porte. Vous êtes une belle viole, et vos sens en sont les cordes. Touchée par une main légitime, votre harmonie ferait abaisser les cieux et rendrait les dieux attentifs. Mais touchée avant votre temps, c'est l'enfer seul que vos sons discordants réjouissent.--En bonne conscience... je renonce à vous.
ANTIOCHUS.--Prince Périclès, ne la touchez pas, sous peine de perdre la vie. C'est un point aussi dangereux pour vous que le reste. D'après notre loi, votre temps est expiré: ou devinez, ou subissez votre sentence.
PéRICLèS.--Grand roi, peu de personnes aiment à entendre citer les crimes qu'ils aiment à commettre; ce serait vous outrager que de m'expliquer davantage. Celui qui a le registre de tout ce que font les monarques agit plus s?rement en le tenant fermé qu'ouvert. Là, le vice qu'on dénonce est comme le vent errant, qui, pour se répandre au loin, jette de la poussière aux yeux des hommes, et la fin de cela c'est que le vent passe, et que la vue malade s'éclaircit. Arrêter le vent leur serait funeste. La taupe aveugle pousse des monticules arrondis vers le ciel, pour dire que la terre est opprimée par les crimes de l'homme; le pauvre animal est puni de mort pour cela. Les rois sont les dieux de la terre. Dans le vice, leur volonté est leur loi. Si Jupiter s'égare, qui osera dire que Jupiter fait le mal? Il suffit que vous sachiez... Et il convient d'étouffer ce qui deviendrait pire encore, si on le connaissait. Chacun aime le sein qui le nourrit; permettez à ma langue d'aimer ma tête.
ANTIOCHUS, à part.--Que n'ai-je sa tête en mon pouvoir? Il a trouvé le sens de l'énigme.--Mais je vais user de ruse avec lui. (Haut.) Jeune prince de Tyr, quoique, par la teneur de notre édit sévère, votre explication étant fausse, nous puissions procéder à votre supplice, cependant l'espérance que nous inspire votre belle jeunesse nous fait prendre une autre résolution. Nous vous accordons encore quarante jours de répit. Si au bout de ce terme notre secret est connu, cette clémence prouvera le plaisir que nous aurons à vous agréer pour notre fils. Jusqu'alors vous serez traité comme il convient à notre honneur et à votre mérite.
(Antiochus sort avec sa fille et sa suite.)
PéRICLèS.--Comme la courtoisie voudrait déguiser le crime! Tout ce que je vois n'est que l'acte d'un hypocrite qui n'a de bon que ce qu'il laisse voir au dehors. S'il était vrai que j'eusse mal interprété l'énigme, tu ne serais pas assez coupable pour te livrer à l'inceste: tandis que tu es à la fois un père et un fils par ton coupable commerce avec ton enfant qui devait faire la joie d'un époux et non d'un père, ta fille ne serait pas condamnée à dévorer la chair de sa mère, en souillant la couche maternelle. Ils sont comme deux serpents qui, en se nourrissant des plus douces fleurs, n'en retirent que venin. Antiochus, adieu! La sagesse me dit que ceux qui ne rougissent pas d'actions plus noires que la nuit ne négligeront rien pour les dérober à la lumière! Un crime, je le sais, en provoque un autre. Le meurtre suit de près la luxure, comme la flamme la fumée. Le crime tient dans sa main la trahison, le poison et un bouclier pour écarter la honte. De peur que ma vie ne soit sacrifiée à votre honneur, je veux éviter le danger par la fuite.
(Il sort.)
(Antiochus rentre.)
ANTIOCHUS.--Il a trouvé le mot de l'énigme, il trouvera la mort. Il ne faut pas le laisser vivre pour proclamer mon infamie et pour dire au monde le crime révoltant qu'a commis Antiochus. Que ce prince meure donc, et que sa mort sauve mon honneur. Holà! quelqu'un!
(Thaliard entre.)
THALIARD.--Votre Majesté m'appelle-t-elle?
ANTIOCHUS.--Thaliard, tu es de ma maison et le confident des secrets de mon coeur: ta fidélité fera ton avancement.--Thaliard, voici du poison et voici de l'or; nous ha?ssons le prince de Tyr, et tu dois le tuer.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 28
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.