?Mort aux vaches!?
Alors seulement l'inculp�� Crainquebille tira de sa vieille gorge un bruit de ferraille et de carreaux cass��s.
--J'ai dit: ?Mort aux vaches!? parce que M. l'agent a dit: ?Mort aux vaches!? Alors j'ai dit: ?Mort aux vaches!?
Il voulait faire entendre qu'��tonn�� par l'imputation la plus impr��vue, il avait, dans sa stupeur, r��p��t�� les paroles ��tranges qu'on lui pr��tait faussement et qu'il n'avait certes point prononc��es. Il avait dit: ?Mort aux vaches!? comme il e?t dit: ?Moi! tenir des propos injurieux, l'avez-vous pu croire??
M. le pr��sident Bourriche ne le prit pas ainsi.
--Pr��tendez-vous, dit-il, que l'agent a prof��r�� le cri le premier!
Crainquebille renon?a �� s'expliquer. C'��tait trop difficile.
--Vous n'insistez pas. Vous avez raison, dit le pr��sident.
Et il fit appeler les t��moins.
L'agent 64, de son nom Bastien Matra, jura de dire la v��rit�� et de ne rien dire que la v��rit��. Puis il d��posa en ces termes:
--��tant de service le 20 octobre, �� l'heure de midi, je remarquai, dans la rue Montmartre, un individu qui me sembla ��tre un vendeur ambulant et qui tenait sa charrette ind?ment arr��t��e �� la hauteur du num��ro 328, ce qui occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtemp��rer. Et sur ce que je l'avertis que j'allais verbaliser, il me r��pondit en criant: ?Mort aux vaches!? ce qui me sembla ��tre injurieux.
Cette d��position, ferme et mesur��e, fut ��cout��e avec une ��vidente faveur par le Tribunal. La d��fense avait cit�� Mme Bayard, cordonni��re, et M. David Matthieu, m��decin en chef de l'h?pital Ambroise-Par��, officier de la L��gion d'honneur. Mme Bayard n'avait rien vu ni entendu. Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assembl��e autour de l'agent qui sommait le marchand de circuler. Sa d��position amena un incident.
--J'ai ��t�� t��moin de la sc��ne, dit-il. J'ai remarqu�� que l'agent s'��tait m��pris: il n'avait pas ��t�� insult��. Je m'approchai et lui en fis l'observation. L'agent maintint le marchand en ��tat d'arrestation et m'invita �� le suivre au commissariat. Ce que je fis. Je r��it��rai ma d��claration devant le Commissaire.
--Vous pouvez vous asseoir, dit le pr��sident. Huissier, rappelez le t��moin Matra.--Matra, quand vous avez proc��d�� �� l'arrestation de l'accus��, M. le docteur Matthieu ne vous a-t-il pas fait observer que vous vous m��preniez?
--C'est-��-dire, monsieur le pr��sident, qu'il m'a insult��.
--Que vous a-t-il dit?
--Il m'a dit: ?Mort aux vaches!?
Une rumeur et des rires s'��lev��rent dans l'auditoire.
--Vous pouvez vous retirer, dit le pr��sident avec pr��cipitation.
Et il avertit le public que si ces manifestations ind��centes se reproduisaient, il ferait ��vacuer la salle. Cependant la d��fense agitait triomphalement les manches de sa robe, et l'on pensait en ce moment que Crainquebille serait acquitt��.
Le calme s'��tant r��tabli, Me Lemerle se leva. Il commen?a sa plaidoirie par l'��loge des agents de la Pr��fecture, ?ces modestes serviteurs de la soci��t��, qui, moyennant un salaire d��risoire, endurent des fatigues et affrontent des p��rils incessants, et qui pratiquent l'h��ro?sme quotidien. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats. Soldats, ce mot dit tout...?
Et Me Lemerle s'��leva, sans effort, �� des consid��rations tr��s hautes sur les vertus militaires. Il ��tait de ceux, dit-il, ?qui ne permettent pas qu'on touche �� l'arm��e, �� cette arm��e nationale �� laquelle il ��tait fier d'appartenir?.
Le pr��sident inclina la t��te.
Me Lemerle, en effet, ��tait lieutenant dans la territoriale. Il ��tait aussi candidat nationaliste dans le quartier des Vieilles-Haudriettes.
Il poursuivit:
?Non certes, je ne m��connais pas les services modestes et pr��cieux que rendent journellement les gardiens de la paix �� la vaillante population de Paris. Et je n'aurais pas consenti �� vous pr��senter, messieurs, la d��fense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien soldat. On accuse mon client d'avoir dit: ?Mort aux vaches!? Le sens de cette phrase n'est pas douteux. Si vous feuilletez le Dictionnaire de la langue verte, vous y lirez: ?Vachard, paresseux, fain��ant; qui s'��tend paresseusement comme une vache, au lieu de travailler.--Vache, qui se vend �� la police; mouchard.? Mort aux vaches! se dit dans un certain monde. Mais toute la question est celle-ci: comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et m��me, l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter.
Je ne soup?onne l'agent Matra d'aucune mauvaise pens��e. Mais il accomplit, comme nous l'avons dit, une tache p��nible. Il est parfois fatigu��, exc��d��, surmen��. Dans ces conditions il peut avoir ��t�� la victime d'une sorte d'hallucination de l'ou?e. Et quand il vient vous dire, messieurs, que le docteur David Matthieu, officier de la L��gion d'honneur, m��decin en chef de l'h?pital Ambroise-Par��, un prince de la science et un homme du monde, a cri�� aussi: ?Mort aux vaches!? nous sommes bien forc��s de reconna?tre que Matra est en proie �� la maladie de l'obsession, et, si le terme n'est pas trop fort, au d��lire de la pers��cution.
Et alors m��me que Crainquebille aurait cri��: ?Mort aux vaches!? il resterait �� savoir si ce mot a, dans sa bouche, le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.