Oliver Twist | Page 8

Charles Dickens
répondit Olivier.
Le chef dirigea vers la tête d'Olivier un coup de sa cuiller à pot,
l'étreignit dans ses bras, et appela à grands cris le bedeau.
Le conseil siégeait en séance solennelle quand M. Bumble tout hors de
lui, se précipita dans la salle, et s'adressant au président, lui dit:
«Monsieur Limbkins, je vous demande pardon, monsieur, Olivier Twist
en a redemandé.»
Ce fut une stupéfaction générale; l'horreur était peinte sur tous les
visages.
«Il en a redemandé, dit M. Limbkins? calmez-vous, Bumble, et
répondez-moi clairement. Dois-je comprendre qu'il a redemandé de la
nourriture, après avoir mangé le souper alloué par le règlement?
- Oui, monsieur, répondit Bumble.

- Cet enfant-là se fera pendre, dit le monsieur au gilet blanc; oui, cet
enfant-là se fera pendre.»
Personne ne contredit cette prédiction. Une discussion très vive eut lieu;
Olivier fut mis au cachot, et le lendemain matin, un avis affiché à la
porte offrait une récompense de cinq livres sterling[2] à quiconque
voudrait débarrasser la paroisse d'Olivier Twist; en d'autres termes, on
offrait cinq livres sterling et Olivier Twist à quiconque, homme ou
femme, aurait besoin d'un apprenti pour n'importe quel commerce ou
quelle besogne.
«De ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une chose, disait le
monsieur au gilet blanc en frappant à la porte le lendemain matin et en
lisant l'affiche; de ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une
chose! c'est que cet enfant-là se fera pendre.»
Comme je me propose, dans la suite de ce récit, de montrer si le
monsieur au gilet blanc eut raison ou non, je nuirais peut-être à l'intérêt
de ma narration (si toutefois elle en a), en faisant pressentir si la vie
d'Olivier Twist eut ou non ce terrible dénoûment.
CHAPITRE III Comment Olivier Twist fut sur la point d'attraper une
place qui n'eût pas été une sinécure.
Après avoir commis le crime impardonnable de redemander du gruau,
Olivier resta pendant huit jours étroitement enfermé dans le cachot où
l'avaient envoyé la miséricorde et la sagesse du conseil d'administration.
On pouvait supposer, au premier abord, que, s'il eût accueilli avec
respect la prédiction du monsieur au gilet blanc, il aurait pu établir, une
fois pour toutes, la réputation prophétique de ce sage administrateur, en
accrochant un bout de son mouchoir à un clou dans la muraille, et en se
suspendant à l'autre. Il n'y avait qu'un obstacle à l'exécution de cet acte:
c'est que, par ordre exprès du conseil, signé, paraphé et scellé de tous
les membres, les mouchoirs, étant considérés comme objets de luxe,
avaient été, à toujours, interdits aux pauvres du dépôt; l'âge si tendre
d'Olivier était un second obstacle aussi sérieux; il se contenta de pleurer
amèrement pendant des journées entières; et, quand venaient les
longues et tristes heures de la nuit, il mettait ses petites mains devant
ses yeux pour ne pas voir l'obscurité, et se blottissait dans un coin pour
tâcher de dormir; parfois il s'éveillait en sursaut et tout tremblant; il se
collait contre le mur, comme s'il trouvait, à toucher cette surface dure et
froide, une protection contre les ténèbres et la solitude qui

l'environnaient.
Il ne faut pas que les ennemis du _Système_ s'imaginent que, pendant
la durée de son emprisonnement, Olivier fut privé du bienfait de
l'exercice, du plaisir de la société, ou des consolations de la religion.
Quant à l'exercice, comme le temps était beau et froid, il avait la
permission de se laver tous les matins sous la pompe, dans une cour
pavée, en présence de M. Bumble, qui, pour l'empêcher de s'enrhumer,
activait chez lui la circulation du sang au moyen de fréquents coups de
canne. Quant à la société, on l'amenait tous les deux jours dans le
réfectoire des enfants, et on lui administrait une verte correction, pour
le bon exemple et l'édification des autres. Bien loin de lui refuser les
avantages des consolations religieuses, on le faisait entrer, à coups de
pieds, dans la salle, tous les soirs, à l'heure de la prière, et il avait la
permission d'écouter, pour sa plus grande consolation, la prière de ses
camarades, revue et augmentée par le conseil, dans laquelle ils
demandaient d'être bons, vertueux, contents et obéissants, et d'être
préservés des fautes et des vices d'Olivier Twist, qu'on présentait ainsi
comme exclusivement placé sous le patronage et la protection de Satan,
comme un échantillon direct des produits de la manufacture du diable.
Tandis que les affaires d'Olivier prenaient cette tournure favorable et
avantageuse, il advint un matin que M. Gamfield, ramoneur de son
métier, descendait la grande rue en se creusant la tête pour savoir
comment il payerait plusieurs termes de loyer, pour lesquels son
propriétaire devenait fort exigeant. Il avait beau supputer et calculer, il
ne pouvait arriver au chiffre de cinq livres sterling dont il
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