son lit, et mourut; on lui frotta la poitrine, les mains, les
tempes; mais le sang était glacé pour toujours: on lui parlait d'espoir et
de secours; mais elle en avait été si longtemps privée, qu'il n'en était
plus question.
«C'est fini, madame Thingummy, dit enfin le chirurgien.
- Ah! pauvre femme, c'est bien vrai, dit la garde en ramassant la
bouchon de la bouteille verte, qui était tombé sur le lit tandis qu'elle se
baissait pour prendre l'enfant. Pauvre femme!
- Il est inutile de m'envoyer chercher si l'enfant crie, dit le chirurgien
d'un air délibéré; il est probable qu'il ne sera pas bien tranquille. Dans
ce cas donnez--lui un peu de gruau.» Il mit son chapeau, et en gagnant
la porte il s'arrêta près du lit et ajouta: «C'était une jolie fille, ma foi;
d'où venait-elle?
- On l'a amenée ici hier soir, répondit la vieille femme, par ordre de
l'inspecteur; on l'a trouvée gisant dans la rue; elle avait fait un assez
long trajet, car ses chaussures étaient en lambeaux; mais d'où
venait-elle, où allait-elle? nul ne le sait.»
Le chirurgien se pencha sur le corps, et soulevant la main gauche de la
défunte: «Toujours la vieille histoire, dit-il en hochant la tête; elle n'a
pas d'alliance... Allons! bonsoir.»
Le docteur s'en alla dîner, et la garde, ayant encore une fois porté la
bouteille à ses lèvres, s'assit sur une chaise basse devant le feu, et se mit
à habiller l'enfant.
Quel exemple frappant de l'influence du vêtement offrit alors le petit
Olivier Twist! Enveloppé dans la couverture qui jusqu'alors était son
seul vêtement, il pouvait être fils d'un grand seigneur ou d'un mendiant:
Il eût été difficile pour l'étranger le plus présomptueux de lui assigner
un rang dans la société; mais quand il fut enveloppé dans la vieille robe
de calicot, jaunie à cet usage, il fut marqué et étiqueté, et se trouva, tout
d'un coup à sa place: l'enfant de la paroisse, l'orphelin de l'hospice, le
souffre-douleur affamé, destiné aux coups et aux mauvais traitements,
au mépris de tout le monde, à la pitié de personne.
Olivier criait de toute sa force. S'il eût pu savoir qu'il était orphelin,
abandonné à la tendre compassion des marguilliers et des inspecteurs,
peut-être eût-il crié encore plus fort.
CHAPITRE II Comment Olivier Twist grandit, et comment il fut élevé.
Pendant les huit ou dix mois qui suivirent, Olivier Twist fut victime
d'un système continuel de tromperies et de déceptions; il fut élevé au
biberon: les autorités de l'hospice informèrent soigneusement les
autorités de la paroisse de l état chétif du pauvre orphelin affamé. Les
autorités de la paroisse s'enquirent avec dignité près des autorités de
l'hospice, s'il n'y aurait pas une femme, demeurant actuellement dans
l'établissement, qui fût en état de procurer à Olivier Twist la
consolation et la nourriture dont il avait besoin; les autorités de
l'hospice répondirent humblement qu'il n'y en avait pas: sur quoi les
autorités de la paroisse eurent l'humanité et la magnanimité de décider
qu'Olivier serait _affermé_, ou, en d'autres mots, qu'il serait envoyé
dans une succursale à trois milles de là, où vingt à trente petits
contrevenants à la loi des pauvres passaient la journée à se rouler sur le
plancher sans avoir à craindre de trop manger ou d'être trop vêtus, sous
la surveillance maternelle d'une vieille femme qui recevait les
délinquants à raison de sept pence[1] par tête et par semaine. Sept
pence font une somme assez ronde pour l'entretien d'un enfant; on peut
avoir bien des choses pour sept pence; assez, en vérité, pour lui charger
l'estomac et altérer sa santé. La vieille femme était pleine de sagesse et
d'expérience; elle savait ce qui convenait aux enfants, et se rendait
parfaitement compte de ce qui lui convenait à elle-même: en
conséquence, elle fit servir à son propre usage la plus grande partie du
secours hebdomadaire, et réduisit la petite génération de la paroisse à
un régime encore plus maigre que celui qu'on lui allouait dans la
maison de refuge où Olivier était né. Car la bonne dame reculait
prudemment les limites extrêmes de l'économie, et se montrait
philosophe consommée dans la pratique expérimentale de la vie.
Tout le monde connaît l'histoire de cet autre philosophe expérimental
qui avait imaginé une belle théorie pour faire vivre un cheval sans
manger, et qui l'appliqua si bien, qu'il réduisit peu à peu la ration de son
cheval à un brin de paille; sans aucun doute, cette bête fut devenue
singulièrement agile et fringante si elle n'était pas morte, précisément
vingt-quatre heures avant de recevoir pour la première fois une forte
ration d'air pur. Malheureusement pour la philosophie expérimentale de
la vieille femme chargée d'avoir soin d'Olivier Twist, ce résultat était le
plus souvent la conséquence naturelle de son système. Juste au moment
où un
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