Oliver Twist | Page 7

Charles Dickens
Sur ce ils posèrent en principe que les pauvres auraient le choix (car on ne for?ait personne, bien entendu) de mourir de faim lentement s'ils restaient au dép?t, ou tout d'un coup s'ils en sortaient. à cet effet, ils passèrent un marché avec l'administration des eaux pour en obtenir une quantité illimitée, et avec un marchand de blé pour avoir à des périodes déterminées une petite quantité de farine d'avoine: ils accordèrent trois légères rations de gruau clair par jour, un oignon deux fois par semaine, et la moitié d'un petit pain le dimanche. Ils prirent, relativement aux femmes, beaucoup d'autres dispositions sages et humaines, qu'il est inutile de rapporter: ils entreprirent, par pure bonté, de séparer par une espèce de divorce les pauvres gens mariés, ce qui leur épargnait les frais énormes d'un procès devant la cour ecclésiastique; et, au lieu d'obliger le mari à soutenir sa famille par son travail, ils lui arrachèrent sa famille et le rendirent célibataire. On ne saurait dire combien de gens dans toutes les classes de la société eussent voulu profiter de ces deux bienfaits; mais les administrateurs étaient des hommes prévoyants et avaient obvié à cette difficulté: pour jouir de ces bienfaits il fallait vivre au dép?t, et y vivre de gruau; cela effrayait les gens.
Six mois après l'arrivée d'Olivier Twist, le nouveau système était en pleine vigueur. Dans le début, il fut un peu co?teux; il fallut payer davantage à l'entrepreneur des pompes funèbres, et rétrécir les vêtements de tous les pauvres, amaigris et réduits à rien après une semaine ou deux de gruau; mais le nombre des habitants du dép?t de mendicité diminua beaucoup, et les administrateurs étaient dans le ravissement.
L'endroit où mangeaient les enfants était une grande salle pavée, au bout de laquelle était une chaudière d'où le chef du dép?t, couvert d'un tablier et aidé d'une ou deux femmes, tirait le gruau aux heures des repas. Chaque enfant en recevait plein une petite écuelle et jamais davantage, sauf les jours de fête, où il avait en plus deux onces un quart de pain; les bols n'avaient jamais besoin d'être lavés: les enfants les polissaient avec leurs cuillers jusqu'à ce qu'ils redevinssent luisants; et, quand ils avaient terminé cette opération, qui n'était jamais longue, car les cuillers étaient presque aussi grandes que les bols, ils restaient en contemplation devant la chaudière avec des yeux si avides qu'ils semblaient la dévorer de leurs regards, et ils se léchaient les doigts pour ne pas perdre quelques petites gouttes de gruau qui avaient pu s'y attacher. Les enfants ont en général un excellent appétit; Olivier Twist et ses compagnons souffrirent pendant trois mois les tortures d'une lente consomption, et la faim finit par les égarer à ce point qu'un enfant, grand pour son age et peu habitué à une telle existence (car son père avait tenu une petite échoppe de traiteur), donna à entendre à ses camarades que, s'il n'avait pas une portion de plus de gruau par jour, il craignait de dévorer une nuit l'enfant qui partageait son lit, et qui était jeune et faible: il avait, en parlant ainsi, l'oeil égaré et affamé, et ses compagnons le crurent; on délibéra. On tira au sort pour savoir qui irait le soir même au souper demander au chef une autre portion; le sort tomba sur Olivier Twist.
Le soir venu, les enfants prirent leurs places; le chef de l'établissement, affublé de son costume de cuisinier, était en personne devant la chaudière; on servit le gruau; on dit un long benedictus sur ce chétif ordinaire. Le gruau disparut; les enfants se parlaient à l'oreille, faisaient des signes à Olivier, et ses voisins le poussaient du coude. Tout enfant qu'il était, la faim l'avait exaspéré, et l'excès de la misère l'avait rendu insouciant; il quitta sa place, et, s'avan?ant l'écuelle et la cuiller à la main, il dit, tout effrayé de sa témérité:
?J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous pla?t.?
Le chef, homme gras et rebondi, devint pale; stupéfait de surprise, il regarda plusieurs fois le petit rebelle; puis il s'appuya sur la chaudière pour se soutenir; les vieilles femmes qui l'aidaient étaient saisies d'étonnement, et les enfants de terreur.
?Comment! dit enfin le chef d'une voix altérée.
- J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous pla?t,? répondit Olivier.
Le chef dirigea vers la tête d'Olivier un coup de sa cuiller à pot, l'étreignit dans ses bras, et appela à grands cris le bedeau.
Le conseil siégeait en séance solennelle quand M. Bumble tout hors de lui, se précipita dans la salle, et s'adressant au président, lui dit:
?Monsieur Limbkins, je vous demande pardon, monsieur, Olivier Twist en a redemandé.?
Ce fut une stupéfaction générale; l'horreur était peinte sur tous les visages.
?Il en a redemandé, dit M. Limbkins? calmez-vous, Bumble, et répondez-moi clairement. Dois-je comprendre qu'il a redemandé de la nourriture, après avoir mangé
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