d'infortune qu'il quittait, c'étaient les seuls amis qu'il e?t jamais connus, et le sentiment de son isolement dans ce vaste univers se fit jour pour la première fois dans le coeur de l'enfant.
M. Bumble marchait à grand pas, et le petit Olivier, serrant bien fort le parement galonné du bedeau, trottait à c?té de lui, et demandait à chaque instant s'ils n'allaient pas bient?t arriver. M. Bumble répondait à ses questions d'une manière brève et dure: il n'éprouvait plus l'influence bienfaisante qu'exerce le genièvre sur certains coeurs, et il était redevenu bedeau.
Il n'y avait pas un quart d'heure qu'Olivier avait franchi le seuil du dép?t de mendicité, et il avait à peine fini de faire dispara?tre un second morceau de pain, quand M. Bumble, qui l'avait confié aux soins d'une vieille femme, revint lui dire que c'était jour de conseil et que le conseil le mandait.
Olivier, qui n'avait pas une idée précise de ce que c'était qu'un conseil, fut fort étonné à. cette nouvelle, ne sachant pas trop s'il devait rire ou pleurer; du reste, il n'eut pas le temps de faire de longues réflexions: M. Bumble lui donna un petit coup de canne sur la tête pour le rendre attentif, un autre sur le dos pour le rendre alerte, lui ordonna de le suivre, et le conduisit dans une grande pièce badigeonnée de blanc, où huit ou dix gros messieurs siégeaient autour d'une table, au bout de laquelle un monsieur d'une belle corpulence, au visage rond et rouge, était assis dans un fauteuil plus élevé que les autres.
?Saluez le conseil,? dit Bumble.
Olivier essuya deux ou trois larmes qui roulaient dans ses yeux, et salua la table du conseil.
- Votre nom, petit? dit le monsieur qui occupait le fauteuil.
Olivier eut peur à la vue de tant de messieurs, et resta interdit. Le bedeau lui appliqua sur le dos un nouveau coup qui le fit pleurer; aussi répondit-il bien bas et d'une voix tremblante; sur quoi un monsieur à gilet blanc dit qu'il était un idiot, moyen excellent pour donner un peu d'assurance à l'enfant et le mettre à son aise.
?écoutez-moi, petit, dit le président; vous savez que vous êtes orphelin, je suppose?
- Qu'est-ce que c'est que ?a? demanda le pauvre Olivier.
- Cet enfant est idiot, j'en étais s?r, dit le monsieur au gilet blanc, d'un ton péremptoire.
- Chut! dit le monsieur qui avait parlé le premier; vous savez que vous n'avez ni père ni mère, et que vous êtes élevé aux frais de la paroisse, n'est-ce pas?
- Oui, monsieur, répondit Olivier en pleurant amèrement.
- Pourquoi donc pleurez-vous? demanda le monsieur au gilet blanc. (C'était en effet bien extraordinaire; qu'avait donc cet enfant à pleurer ainsi?)
- J'espère que vous faites vos prières tous les soirs, dit un autre monsieur d'un ton rechigné, et que vous priez en bon chrétien pour ceux qui vous nourrissent et qui ont soin de vous?
- Oui, monsieur,? balbutia l'enfant.
Le monsieur qui venait de parler avait raison: il e?t fallu en effet qu'Olivier f?t un bon chrétien et même un chrétien modèle, s'il eut prié pour ceux qui le nourrissaient et qui avaient soin de lui; mais il ne le faisait pas, parce qu'on ne le lui avait pas enseigné.
?C'est bien, dit le président à mine rubiconde; vous êtes ici pour votre éducation et pour apprendre un métier utile.
- Aussi, demain matin à six heures vous commencerez à éplucher de l'étoupe,? dit le bourru au gilet blanc.
Faire éplucher de l'étoupe à Olivier, c'était combiner ensemble d'une manière très simple les deux bienfaits qu'on lui accordait; il reconnut l'un et l'autre par un profond salut à l'instigation du bedeau, puis on l'emmena dans une grande salle de l'hospice, où, sur un lit bien dur, il s'endormit en sanglotant: preuve éclatante de la douceur des lois de notre heureux pays, qui n'empêchent pas les pauvres de dormir!
Pauvre Olivier! Endormi dans l'heureuse ignorance de ce qui se passait autour de lui, il ne songeait guère que ce jour-là même le conseil venait de prendre une décision qui devait exercer sur sa destinée ultérieure une influence irrésistible: mais la décision était prise; et voici quelle elle était.
Les membres du conseil d'administration étaient des hommes pleins de sagesse et d'une philosophie profonde: en fixant leur attention sur le dép?t de mendicité, ils avaient découvert tout à coup ce que des esprits vulgaires n'eussent jamais aper?u, que les pauvres s'y plaisaient! C'était pour les classes pauvres un séjour plein d'agrément, une taverne où l'on n'avait rien à payer, où l'on avait toute l'année le déjeuner, le d?ner, le thé et le souper; c'était un véritable élysée de briques et de mortier, où l'on n'avait qu'à jouir sans travailler.
?Oh! oh! se dit le conseil d'un air malin; nous sommes gens à remettre les choses en ordre; nous allons faire cesser cela tout de suite.?
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