Oeuvres poétiques Tome I | Page 5

Christine de Pisan
vers 50 à 60 de la Dédicace à la reine Isabelle et le
passage suivant des «Cent Balades d'amant et de dame»:
Quoy que n'eusse corage ne pensée
Quant a present de dits amoureux
faire,
Car autre part adès suis a pensée,
Par le command de
personne, qui plaire
Doit bien a tous, ay empris a parfaire
D'un
amoureux et sa dame ensement,
Pour obeïr a autrui et complaire,

Cent balades d'amoureux sentement.
]
Trés excellent, de grant haultesse
Couronnée, poissant princesse,

Trés noble roÿne de France,
Le corps enclin vers vous m'adresce 4

En saluant par grant humblece;
Pry Dieu qu'il vous tiengne en
souffrance
Lonc temps vive, et après l'oultrance
De la mort vous
doint la richece 8
De Paradis, qui point ne cesse,
Et au monde sanz
decevrance
Paix, joye et toute recouvrance
De quanqu'il affiert a
leece. 12
Haulte dame, en qui sont tous biens,
Et ma trés souvraine, je viens

Vers vous, comme vo creature,
Pour ce livre cy que je tiens 16

Vous presenter, ou il n'a riens,
En histoire n'en escripture,
Que
n'aye en ma pensée pure
Pris ou stile que je detiens 20
Du seul
sentement que retiens
Des dons de Dieu et de nature,
Quoy que
mainte aultre creature
En ait plus en fait et maintiens. 24
Et sont ou volume compris
Plusieurs livres es quieulx j'ay pris
A
parler en maintes manieres
Differens, et pour ce l'empris 28
Que on
en devient plus appris
D'oÿr de diverses matieres,
Unes pesans,
aultres legieres,
A qui se delitte ou pourpris 32
Des livres, qui maint
ont en pris
Fait monter et prendre manieres

Belles; si doit on avoir
chieres
Escriptures, non en despris. 36
Car, si que les sages tesmoignent
En leurs escrips, les gens qui
songnent
De lire en livres voulentiers,
Ne peut qu'aucunement

n'eslongnent 40
Ygnorence, que ceulx ressongnent
Qui de sens
suivent les sentiers,
Si en valent mieulx ceulx le tiers,
Voire plus
qui s'en embesongnent 44
Et qui la peine ne ressongnent

D'apprendre, il n'est si beaulx mestiers
Ne qui face gens si entiers,

Quoy que les folz, peut estre, en grongnent. 48
Si l'ay fait, ma dame, ordener
Depuis que je sceus qu'assener
Le
devoye a vous, si qu'ay sceu
Tout au mieulx et le parfiner 52

D'escripre et bien enluminer,
Dès que vo command en receu,
Selons
qu'en mon cuer j'ay conceu
Qu'il faloit des choses finer 56
Pour
bien richement l'affiner
A fin que fust apperceü
Que je mets pouoir,
force et sceu,
Pour vo bon vueil enteriner. 60
Dont vous plaise, trés haulte et digne,
Le prendre en gré, tout soye
indigne
Que mon euvre estre presentée
Vous doye, mais vostre
benigne 64
Condicion qui ne decline
D'umilité, trés redoubtée

Dame, tout soiez hault montée,
Ne vous seuffre en fait ne en signe 68

Que ne soyez, comme roÿne
Doit estre, humaine et arrestée;
Et
pour ce ne me suis doubtée
Que vous l'ayés a ce termine. 72
De mon labour et lonc travail
Du livre que mes en vo bail,
Qui
contient grant euvre et penible,
Combien que peut estre g'y fail 76

En maint lieux parce que je vail
Trop pou en sens, bien est possible,

Ne vueillez pas, dame sensible,
Pour tant prendre garde au deffail,
80
Mais a ce que je me travail
Voulentiers de ce que possible

M'est a faire en chose loisible,
Qu'a haulte gent voulentiers bail. 84
Si suppli en conclusion,
Haulte dame d'atraction

D'empereurs de
digne memoire,
Qu'en benigne devocion 88
Vous plaise mon
entencion
Prendre en gré, qui loyale et voire
Est et sera, et si notoire

Ceste mienne posicion 92
Vous soit qu'a tousjours mencion
Soit
de moy en vostre memoire,
Si que vostre grace m'avoire
Qu'ayés a
moy affection. 96

Le ms. du Musée Britannique contient les mêmes formes de langue que
nous rencontrons dans le ms. de la Bibl. Nat. Comme ce dernier il
renferme 50 ballades «de divers propos», tandis que 29 seulement se
trouvent dans les autres mss.; de plus il n'apporte pour ainsi dire pas de
variantes au texte du ms. que nous avons reconstitué plus haut et paraît
avoir été confectionné sur le même plan ou d'après les mêmes
documents, mais à une époque un peu postérieure. Il contient en effet
des oeuvres qui ne se trouvent pas dans le ms. du duc de Berry, à côté
duquel nous le jugeons cependant digne à tous égards de prendre place.
Toutefois, malgré les avantages que peut offrir le ms. du Musée
britannique, nous n'avons pas eu d'hésitation pour adopter dans cette
édition le texte du ms. du duc de Berry et lui donner la préférence pour
toutes les poésies qu'il renferme. Il est facile du reste d'invoquer en sa
faveur les meilleures considérations, tirées non seulement de son
origine bien établie, mais surtout de l'excellence de son texte. Enfin une
dernière raison, et elle a bien son importance, il est de tous les mss. que
nous ayons retrouvés, celui qui se rapproche le plus de la date de
composition des différentes pièces dont il donne le texte[9].
[Note 9: La confection du ms. du Musée britannique ne peut en aucune
façon être considérée comme antérieure à celle du ms. du duc de Berry.
Ces recueils contiennent tous deux les Epîtres sur le Roman de la Rose
renfermant une pièce datée de la fin de l'année 1407, or
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