Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 4

Paul Verlaine
rude des éléments.
Les juins brûlent et les décembres
Gèlent votre chair jusqu'aux os,

Et la fièvre envahit vos membres,
Qui se déchirent aux roseaux.
Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour
vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera dédaigné par les loups!
PAYSAGES TRISTES
_A Catulle Mendès_.
I
SOLEILS COUCHANTS
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des
soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur
qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme
des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent
sans trêves,
Défilent, pareils
A des grands soleils
Couchants, sur
les grèves.

II
CRÉPUSCULE DU SOIR MYSTIQUE
Le Souvenir avec le Crépuscule
Rougeoie et tremble à l'ardent
horizon
De l'Espérance en flamme qui recule
Et s'agrandit ainsi
qu'une cloison
Mystérieuse où mainte floraison
--Dahlia, lys, tulipe
et renoncule--
S'élance autour d'un treillis, et circule
Parmi la
maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison

--Dahlia, lys, tulipe et renoncule--
Noyant mes sens, mon âme et ma
raison,
Mêle, dans une immense pâmoison,
Le Souvenir avec le
Crépuscule.
III
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant, dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les
nénuphars blêmes;
Les grands nénuphars entre les roseaux,

Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j'errais tout seul,
promenant ma plaie
Au long de l'étang, parmi la saulaie
Où la
brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et
pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des
ailes
Parmi la saulaie où j'errais tout seul
Promenant ma plaie; et
l'épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du
couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,

Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
IV
NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE
C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre.
Un rhythmique
sabbat, rhythmique, extrêmement
Rhythmique.--Imaginez un jardin
de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.
Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées
Toutes droites;
sylvains de marbre; dieux marins
De bronze; çà et là, des Vénus
étalées;
Des quinconces, des boulingrins;
Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune;
Ici, des rosiers
nains qu'un goût docte effila;
Plus loin, des ifs taillés en triangles. La
lune
D'un soir d'été sur tout cela.
Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
Un air mélancolique,
un sourd, lent et doux air
De chasse: tel, doux, lent, sourd et
mélancolique,
L'air de chasse de Tannhauser.
Des chants voilés de cors lointains où la tendresse
Des sens étreint
l'effroi de l'âme en des accords
Harmonieusement dissonnants dans
l'ivresse;
Et voici qu'à l'appel des cors
S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que
le clair de lune fait
Opalines parmi l'ombre verte des branches,
--Un Watteau rêvé par Raffet!--
S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres
D'un geste alangui, plein
d'un désespoir profond;
Puis, autour des massifs, des bronzes et des
marbres
Très lentement dansent en rond.

--Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée
Du poète ivre, ou son
regret, ou son remords,
Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts?
Sont-ce donc ton remords, ô rèvasseur qu'invite
L'horreur, ou ton
regret, ou ta pensée,--hein?--tous
Ces spectres qu'un vertige
irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous?--
N'importe! ils vont toujours, les fébriles fantômes,
Menant leur ronde
vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des
atomes,
Et s'évaporent à l'instant
Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre
Les cors, en sorte
qu'il ne reste absolument
Plus rien--absolument--qu'un jardin de
Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.
V
CHANSON D'AUTOMNE
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens

Et je pleure;
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
VI
L'HEURE DU BERGER
La lune est rouge au brumeux horizon;
Dans un brouillard qui danse,
la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts
où circule un frisson;
Les fleurs des eaux referment leurs corolles,
Des peupliers profilent
aux lointains,
Droits et serrés, leurs spectres incertains;
Vers les
buissons errent les lucioles;
Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs
ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche,
Vénus émerge, et c'est la Nuit.
VII
LE ROSSIGNOL
Comme un vol criard d'oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs
s'abattent sur moi,
S'abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur
mirant son tronc plié d'aune
Au tain violet de l'eau des Regrets,
Qui
mélancoliquement coule auprès,
S'abattent, et puis la rumeur
mauvaise
Qu'une brise moite en montant apaise,
S'éteint par degrés
dans l'arbre, si bien
Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien,

Plus rien que la voix célébrant l'Absente,
Plus rien que la voix,--ô si
languissante!--
De l'oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui

chante encor comme au premier jour;
Et, dans la splendeur triste
d'une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mélancolique
et lourde d'été,
Pleine de silence et d'obscurité,
Berce sur l'azur
qu'un vent doux effleure
L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure.
CAPRICES
A Henry Winter.
I
FEMME ET CHATTE
Elle jouait avec sa chatte;
Et c'était
merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans
l'ombre du soir.
Elle cachait--la scélérate!--
Sous ces mitaines de fil noir
Ses
meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais
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