bien d'autres.
Voilà ce que j'avais à dire au public avant de lui donner ce livre, qui est plut?t une étude, ou, si vous voulez, une fantaisie, malgré tout ce que ce dernier mot a de prétentieux. Qu'on ne me juge pas trop sévèrement: j'essaye.
J'ai, du reste, à remercier la critique des encouragements qu'elle m'a donnés, et, quelque ridicule qui s'attache à un auteur qui salue ses juges, c'est du fond du coeur que je le fais. Il m'a toujours semblé qu'il y avait autant de noblesse à encourager un jeune homme, qu'il y a quelquefois de lacheté et de bassesse à étouffer l'herbe qui pousse, surtout quand les attaques partent de gens à qui la conscience de leur talent devrait, du moins, inspirer quelque dignité et le mépris de la jalousie[C].
[C] Cet avant-propos ne se trouve que dans la première édition in-octavo des comédies. L'auteur le retrancha des éditions suivantes, à cause du dernier mot où l'on remarque un sentiment d'amertume qui ne se rencontre plus dans aucun autre passage de ses ouvrages. En maintes occasions, Alfred de Musset eut à se plaindre de l'envie; c'est l'unique fois de sa vie qu'il en ait témoigné quelque chagrin; encore n'eut-il rien de plus pressé que d'en effacer le souvenir. Mais, s'il a pardonné aux envieux, ce n'est point une raison qui nous oblige à priver le public de cet écrit.
AU LECTEUR
à la suite de chaque pièce de théatre on trouvera les additions et changements exécutés par l'auteur pour la représentation. Des chiffres indiquent les renvois aux variantes. Les passages enfermés entre crochets [] sont ceux qu'on ne récite pas à la scène. Le lecteur conna?tra ainsi le texte primitif, que nous avons recherché avec soin, et la version destinée au théatre. Parmi les passages que l'auteur a cru devoir supprimer, quelques-uns ont été déjà rétablis par les artistes, et pareille chose arrivera encore, sans aucun doute; mais si, avec le temps, la seconde version subit de nouvelles modifications, ce ne sera que pour se rapprocher de la première, qui est désormais invariable.
Dans une pièce de théatre imprimée, l'usage est de changer le numéro de la scène chaque fois qu'un personnage entre ou sort, et de répéter au commencement de chaque scène les noms des personnages qui doivent y figurer. L'auteur du Spectacle dans un fauteuil s'est dispensé de suivre cette règle, qui avait, selon lui, l'inconvénient de ralentir la lecture et d'interrompre trop souvent le dialogue. Il a préféré ne changer le numéro de la scène que lorsqu'il y avait changement de lieu, et n'a pas voulu que l'entrée de chaque personnage f?t annoncée d'avance. Cette méthode est celle de Shakespeare et de beaucoup d'écrivains étrangers; quoiqu'elle ne soit point usitée en France, nous avons d? nous conformer aux intentions de l'auteur.
LA
NUIT VéNITIENNE
COMéDIE EN UN ACTE
1830
Perfide comme l'onde. SHAKESPEARE.
ACTEURS PERSONNAGES. QUI ONT CRéé LES R?LES.
LE PRINCE D'EYSENACH. MM. LOCKROY. LE MARQUIS DELLA RONDA VIZENTINI. RAZETTA DELAFOSSE. LE SECRéTAIRE INTIME GRIMM. DELAISTRE. LAURETTE. Mme BéRANGER. ( MM. AUGUSTE. DEUX JEUNES VéNITIENS. ( TOURNON.
( MMesLAINé. DEUX JEUNES FEMMES. ( SAULAY.
MADAME BALBI, suivante de Laurette, personnage muet.
La scène est à Venise.
SCèNE PREMIèRE
Une rue.--Au fond, un canal.--Il est nuit.
RAZETTA, descendant d'une gondole, LAURETTE, paraissant à un balcon.
RAZETTA.
Partez-vous, Laurette? Est-il vrai que vous partiez?
LAURETTE.
Je n'ai pu faire autrement.
RAZETTA.
Vous quittez Venise!
LAURETTE.
Demain matin.
RAZETTA.
Ainsi cette funeste nouvelle qui courait la ville aujourd'hui n'est que trop vraie: on vous vend au prince d'Eysenach. Quelle fête! votre orgueilleux tuteur n'en mourra-t-il pas de joie? Lache et vil courtisan!
LAURETTE.
Je vous en supplie, Razetta, n'élevez pas la voix; ma gouvernante est dans la salle voisine; on m'attend, je ne puis que vous dire adieu.
RAZETTA.
Adieu pour toujours?
LAURETTE.
Pour toujours!
RAZETTA.
Je suis assez riche pour vous suivre en Allemagne.
LAURETTE.
Vous ne devez pas le faire. Ne nous opposons pas, mon ami, à la volonté du ciel.
RAZETTA.
La volonté du ciel écoutera celle de l'homme. Bien que j'aie perdu au jeu la moitié de mon bien, je vous répète que j'en ai assez pour vous suivre, et que j'y suis déterminé.
LAURETTE.
Vous nous perdrez tous deux par cette action.
RAZETTA.
La générosité n'est plus de mode sur cette terre.
LAURETTE.
Je le vois; vous êtes au désespoir.
RAZETTA.
Oui; et l'on a agi prudemment en ne m'invitant pas à votre noce.
LAURETTE.
écoutez, Razetta; vous savez que je vous ai beaucoup aimé. Si mon tuteur y avait consenti, je serais à vous depuis longtemps. Une fille ne dépend pas d'elle ici-bas. Voyez dans quelles mains est ma destinée; vous-même ne pouvez-vous pas me perdre par le moindre éclat? Je me suis soumise à mon sort. Je sais qu'il peut vous para?tre brillant, heureux... Adieu! adieu! je ne puis en dire davantage... Tenez! voici ma croix d'or que je vous prie de garder.
RAZETTA.
Jette-la dans la mer; j'irai la rejoindre.
LAURETTE.
Mon Dieu! revenez à vous!
RAZETTA.
Pour qui, depuis tant de jours et tant de nuits, ai-je r?dé comme un assassin autour de ces
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