me rendre responsable de ta mort. As-tu à te plaindre de moi? dois-je un sou à ton père? Est-ce ma faute si tu en es là? Eh, mordieu! on se noie et on se tait.
--C'est ce que je vais faire de ce pas; je suis votre très humble serviteur.
--Un moment! il ne sera pas dit que tu auras eu en vain recours à moi. Tiens, mon gar?on, voilà quatre louis d'or; va-t'en d?ner à la cuisine, et que je n'entende plus parler de toi.
--Bien obligé, je n'ai pas faim, et je n'ai que faire de votre argent!
Croisilles sortit de la chambre, et le financier, ayant mis sa conscience en repos par l'offre qu'il venait de faire, se renfon?a de plus belle dans sa chaise et reprit ses méditations.
Mademoiselle Godeau, pendant ce temps-là, n'était pas si loin qu'on pouvait le croire; elle s'était, il est vrai, retirée par obéissance pour son père; mais, au lieu de regagner sa chambre, elle était restée à écouter derrière la porte. Si l'extravagance de Croisilles lui paraissait inconcevable, elle n'y voyait du moins rien d'offensant; car l'amour, depuis que le monde existe, n'a jamais passé pour offense; d'un autre c?té, comme il n'était pas possible de douter du désespoir du jeune homme, mademoiselle Godeau se trouvait prise à la fois par les deux sentiments les plus dangereux aux femmes, la compassion et la curiosité. Lorsqu'elle vit l'entretien terminé et Croisilles prêt à sortir, elle traversa rapidement le salon où elle se trouvait, ne voulant pas être surprise aux aguets, et elle se dirigea vers son appartement; mais presque aussit?t elle revint sur ses pas. L'idée que Croisilles allait peut-être réellement se donner la mort lui troubla le coeur malgré elle. Sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle marcha à sa rencontre; le salon était vaste, et les deux jeunes gens vinrent lentement au-devant l'un de l'autre. Croisilles était pale comme la mort, et mademoiselle Godeau cherchait vainement quelque parole qui p?t exprimer ce qu'elle sentait. En passant à c?té de lui, elle laissa tomber à terre un bouquet de violettes qu'elle tenait à la main. Il se baissa aussit?t, ramassa le bouquet et le présenta à la jeune fille pour le lui rendre; mais, au lieu de le reprendre, elle continua sa route sans prononcer un mot, et entra dans le cabinet de son père. Croisilles, resté seul, mit le bouquet dans son sein, et sortit de la maison le coeur agité, ne sachant trop que penser de cette aventure.
III
à peine avait-il fait quelques pas dans la rue, qu'il vit accourir son fidèle Jean, dont le visage exprimait la joie.
--Qu'est-il arrivé? lui demanda-t-il; as-tu quelque nouvelle à m'apprendre?
--Monsieur, répondit Jean, j'ai à vous apprendre que les scellés sont levés, et que vous pouvez rentrer chez vous. Toutes les dettes de votre père payées, vous restez propriétaire de la maison. Il est bien vrai qu'on a emporté tout ce qu'il y avait d'argent et de bijoux, et qu'on a même enlevé les meubles; mais enfin la maison vous appartient, et vous n'avez pas tout perdu. Je cours partout depuis une heure, ne sachant ce que vous étiez devenu, et j'espère, mon cher ma?tre, que vous serez assez sage pour prendre un parti raisonnable.
--Quel parti veux-tu que je prenne?
--Vendre cette maison, monsieur, c'est toute votre fortune; elle, vaut une trentaine de mille francs. Avec cela, du moins, on ne meurt pas de faim; et qui vous empêcherait d'acheter un petit fonds de commerce qui ne manquerait pas de prospérer?
--Nous verrons cela, répondit Croisilles, tout en se hatant de prendre le chemin de sa rue. Il lui tardait de revoir le toit paternel; mais, lorsqu'il y fut arrivé, un si triste spectacle s'offrit à lui, qu'il eut à peine le courage d'entrer. La boutique en désordre, les chambres désertes, l'alc?ve de son père vide, tout présentait à ses regards la nudité de la misère. Il ne restait pas une chaise; tous les tiroirs avaient été fouillés, le comptoir brisé, la caisse emportée; rien n'avait échappé aux recherches avides des créanciers et de la justice, qui, après avoir pillé la maison, étaient partis, laissant les portes ouvertes, comme pour témoigner aux passants que leur besogne était accomplie.
--Voilà donc, s'écria Croisilles, voilà donc ce qui reste de trente ans de travail et de la plus honnête existence, faute d'avoir eu à temps, au jour fixe, de quoi faire honneur à une signature imprudemment engagée! Pendant que le jeune homme se promenait de long en large, livré aux plus tristes pensées, Jean paraissait fort embarrassé. Il supposait que son ma?tre était sans argent, et qu'il pouvait même n'avoir pas d?né. Il cherchait donc quelque moyen pour le questionner là-dessus, et pour lui offrir, en cas de besoin, une part de ses économies. Après s'être mis l'esprit à la torture
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