Journal, dans sa dédicace à Lyell, que le mérite principal de ses oeuvres a sa source dans l'étude qu'il a faite des _Principes de Géologie_. C'est là qu'il a pu puiser, en effet, cette notion des causes actuelles, fondamentale pour sa doctrine, suivre leur action dans les périodes anciennes et rattacher l'un à l'autre les phénomènes dont la terre fut le théatre. C'est à la lumière nouvelle que ce livre avait faite dans son esprit qu'il a pu embrasser, comme nul autre avant lui, l'immense durée des temps géologiques et de la succession des faunes et des flores. Or, ces considérations constituent quelques-unes des pierres angulaires du grandiose édifice qu'est le Darwinisme.
Tous les naturalistes connaissent les deux chapitres X et XI de l'_Origine des Espèces_, sur _l'insuffisance des données paléontologiques_ et sur _la succession géologique des êtres organisés_, où Darwin traite des questions qui mettent en relation ses doctrines avec les données géologiques. L'une des plus hautes autorités contemporaines, Sir Archibald Geikie, les apprécie en ces termes: ?Ces chapitres ont provoqué, dans les théories géologiques admises, la révolution la plus profonde qui se soit produite à notre époque?[3]. Peu d'hommes de science, toutefois, savent quelles études avaient préparé l'Auteur à ces conceptions géniales sur l'histoire de la terre. Pour retrouver la marche de ces études, de cette longue et difficile préparation, il faut remonter aux travaux de Darwin sur _la Géologie du Beagle_. C'est là qu'on peut apprécier, dans leur expression technique, ces connaissances spéciales sur la nature des roches et sur la structure du globe qui servirent de base à ces généralisations. Quand on a lu et médité ces mémoires, fruit de tant de recherches faites dans un contact direct avec la nature, on comprend comment l'Auteur a pu résoudre ces problèmes fondamentaux avec le savoir et l'autorité incontestée qui le placent au premier rang parmi les initiateurs de la géologie.
Et ce qui témoigne hautement de la valeur de ces travaux de géologie pure, c'est qu'à c?té de tant d'oeuvres de cette époque tombées dans l'oubli ils ont résisté aux attaques du temps. Certes il y a mis son inévitable patine; mais ils demeurent des modèles dont la matière d'un pur métal et la ligne harmonieuse et sévère commandent l'admiration. Ces mémoires témoignent à tous comment une intelligence ma?tresse d'elle- même, en possession des connaissances spéciales réclamées par les sujets qu'elle aborde, douée d'une incomparable pénétration, s'entend à scruter la nature, à édifier la synthèse des faits et à la traduire d'une manière claire, concise qui frappe par sa simplicité même. Et pour ceux que leurs études ont préparés à pénétrer le détail de ces oeuvres, qui peuvent se rendre compte des efforts qui accompagnent l'exploration de régions encore vierges, juger des procédés et des méthodes suivis pour atteindre les résultats, se replacer par la pensée au point où en était la science lorsque ces recherches furent faites, saisir le caractère original et neuf des considérations qui devancèrent leur temps et ont servi de point de départ aux généralisations futures, pour ceux-là l'oeuvre géologique de Darwin sera placée parmi celles qui appartiennent à l'histoire de la géologie; ils reliront ces pages avec admiration et fruit.
Chargé de décrire les matériaux recueillis par l'expédition du Challenger, j'ai été amené à me livrer à une étude attentive de l'oeuvre géologique du naturaliste anglais: ce fut le cas, en particulier, pour ses _Observations sur les ?les volcaniques_. Les savants qui avaient organisé cette célèbre croisière s'étaient assigné la mission d'aller explorer, à un demi-siècle d'intervalle, les ?les de l'Atlantique étudiées lors du voyage du Beagle. Le Challenger aborda donc aux principaux points illustrés par les premières recherches de Darwin: les naturalistes de l'expédition, MM. Murray, Moseley, Buchanan et le Dr Maclean, purent se livrer ainsi sur le terrain à la constatation des faits signalés par Darwin et, se guidant par ses mémoires, recueillir aux gisements qu'il avait explorés des séries de roches analogues à celles sur lesquelles avaient porté ses investigations. On me fit l'honneur de me confier ces matériaux, et je les étudiai avec les ressources qu'offraient, au moment où j'abordai ce travail, les procédés modernes de la lithologie[4]. Je dus, en me livrant à ces recherches, suivre ligne par ligne les divers chapitres des _Observations géologiques_ consacrées aux ?les de l'Atlantique, obligé que j'étais de comparer d'une manière suivie les résultats auxquels j'étais conduit avec ceux de Darwin, qui servaient de contr?le à mes constatations. Je ne tardai pas à éprouver une vive admiration pour ce chercheur qui, sans autre appareil que la loupe, sans autre réaction que quelques essais pyrognostiques, plus rarement quelques mesures au goniomètre, parvenait à discerner la nature des agrégats minéralogiques les plus complexes et les plus variés. Ce coup d'oeil qui savait embrasser de si vastes horizons, pénètre ici profondément tous les détails lithologiques. Avec quelle
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