go?t de la politique, des velléités de fortune et de gloire. C'est la gloire qui vient la première.
Quelques mois après sa sortie de chez le patron, ce titre de secrétaire de Sagnier, qu'il portait comme ces acteurs qui s'intitulent ?de la Comédie-Fran?aise? pour y avoir figuré deux fois, lui valut de défendre un petit journal légitimiste, le Furet, très répandu dans le monde bien. Il le fit avec beaucoup de succès et de bonheur. Venu là sans préparation, les mains dans les poches, il parla pendant deux heures, avec une verve insolente et tant de belle humeur qu'il for?a les juges à l'écouter jusqu'au bout. Son accent, ce terrible grasseyement dont sa paresse l'avait toujours empêché de se défaire, donnait du mordant à son ironie.
C'était une force, le rythme de cette éloquence bien méridionale, théatrale et familière, ayant surtout la lucidité, la lumière large qu'on trouve dans les oeuvres des gens de là-bas comme dans leurs paysages limpides jusqu'au fond.
Naturellement le journal fut condamné, et paya en amendes et en prison le grand succès de l'avocat. Ainsi dans certaines pièces qui croulent, menant auteur et directeur à la ruine, un acteur se taille une réputation. Le vieux Sagnier, qui était venu l'entendre, l'embrassa en pleine audience. ?Laissez-vous passer grand homme, mon cher Numa,? lui dit-il, un peu surpris d'avoir couvé cet oeuf de gerfaut. Mais le plus étonné fut encore Roumestan, sortant de là comme d'un rêve, sa parole en écho dans ses oreilles bourdonnantes, pendant qu'il descendait tout étourdi le vaste escalier sans rampes du Palais.
Après ce succès, cette ovation, une pluie de lettres élogieuses, les sourires jaunes des confrères, l'avocat put se croire lancé, attendit patiemment les affaires dans son cabinet sur la cour, devant le maigre feu de veuve allumé par son concierge, mais rien ne vint, sauf quelques invitations à d?ner de plus et un jolie bronze de chez Barbedienne offert par la rédaction du Furet. Le nouveau grand homme se trouvait en face des mêmes difficultés, des mêmes incertitudes d'avenir. Ah! ces professions dites libérales, qui ne peuvent amorcer, appeler la clientèle, ont de durs commencements avant que dans le petit salon d'attente acheté à crédit, aux meubles mal rembourrés, à la pendule symbolique flanquée de candélabres dégingandés, vienne s'asseoir le défilé des clients sérieux et payants. Roumestan fut réduit à donner des le?ons de droit dans le monde légitimiste et catholique; mais ce travail lui semblait au-dessous de sa réputation, de ses succès à la Conférence, des éloges dont on enguirlandait son nom dans les journaux du parti.
Ce qui l'attristait plus encore, ce qui lui faisait sentir sa misère, c'était ce d?ner qu'il lui fallait aller chercher chez Malmus, lorsqu'il n'avait pas d'invitation dehors ou que l'état de sa bourse lui défendait l'entrée des restaurants à la mode. La même dame de comptoir s'incrustait entre les mêmes bols à punch, le même poêle en fa?ence ronflait près du casier aux pipes, et les cris, les accents, les barbes noires de tous les midis s'agitaient là comme jadis; mais sa génération ayant disparu, il regardait celle-ci avec les yeux prévenus qu'a la maturité d'un homme sans position pour les vingt ans qui le chassent en arrière. Comment avait-il pu vivre au milieu de pareilles niaiseries? Bien s?r qu'autrefois les étudiants n'étaient pas aussi bêtes. Leur admiration même, leurs frétillements de bons chiens na?fs autour de sa notoriété lui étaient insupportables. Pendant qu'il mangeait, le patron du café, très fier de son pensionnaire, venait, s'asseoir près de lui sur le divan rouge fané qu'il secouait à toutes les quintes de son asthme, tandis qu'à la table voisine s'installait une grande fille maigre, la seule figure qui restat de jadis, figure osseuse, sans age, connue au quartier sous le nom de ?l'Ancienne à tous? et à qui quelque bon gar?on d'étudiant aujourd'hui marié, retourné au pays, avait, en s'en allant, ouvert un compte chez Malmus. Broutant depuis tant d'années autour du même piquet, la pauvre créature ne savait rien du dehors, ignorait les succès de Roumestan, lui parlait sur un ton de commisération comme à un éclopé, un retardataire de la même promotion qu'elle:
?Eh ben! ma pauvre vieille, ?a boulotte?... Tu sais, Pompon est marié... Laboulbène a permuté, passé substitut à Caen.?
Roumestan répondait à peine, s'étouffait à mettre les morceaux doubles et, s'en allant par les rues du quartier toutes bruyantes de brasseries, de débits de prunes, sentait l'amer d'une vie ratée et comme une impression de déchéance.
Quelques années se passèrent ainsi, pendant lesquelles son nom grandit, s'affirma, toujours sans autre profit que des réductions de chez Barbedienne, puis il fut appelé à défendre un négociant d'Avignon qui avait fait fabriquer des foulards séditieux, je ne sais quelle députation en rond autour du comte de Chambord, assez confuse dans l'impression maladroite du tissu, mais soulignée d'un imprudent
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