Nouvelles lettres dun voyageur | Page 5

George Sand
et nous attend.
Au del��, oui, au del��! Faut-il s'inqui��ter de ce peu de notes que nous avons �� dire encore? Et, quand nous avons souhait�� le bonsoir au vivant qui ferme la porte et descend l'escalier, savons-nous si ce mot n'est pas le dernier que nous aurons dit dans la langue des hommes?
Vivre est un bonheur quand m��me, parce que la vie est un don; mais il y a bien des jours, dans notre ��ph��m��re existence humaine, o�� nous ne sentons pas ce bonheur. Ce n'est pas la faute de l'univers! Les personnalit��s puissantes souffrent moins que les autres. Elles traversent les crises avec une vaillance extraordinaire, et, quand elles sont forc��es de descendre dans les ab?mes du doute et de la douleur, elles remontent, les mains pleines de po��sies sublimes.
Tel vous ��tes, ? po?te que nous admirons! dans la temp��te, vous chantez plus haut que la foudre, et, quand un rayon de soleil vous enivre, vous avez l'exub��rante gaiet�� du printemps. Si tout est gris et morne autour de vous, votre ame se met �� l'unisson des heures pales et lugubres; mais vous chantez toujours et vous voyez, vous sentez, m��me sous l'impression accablante du n��ant, la profondeur des choses cach��es sous le silence et l'ombre. Ce mutisme int��rieur des coeurs bris��s, cette surdit�� subite de l'esprit ferm�� �� tous les renouvellements du dehors, vous ne les connaissez pas. Cela est heureux pour nous, car votre voix est un ��v��nement dans nos destin��es, et, quand nous n'entendons plus celle de la nature, vous parlez pour elle et vous nous forcez d'��couter. Il faut donc s'��veiller, et demander �� votre immense vitalit�� un souffle qui nous ranime. Nul n'a le droit d'��tre indiff��rent quand votre fanfare retentit. C'est un appel �� la vie, �� la force, �� la croyance, �� la reconnaissance que nous devons �� l'auteur du beau dans l'univers. Ne pas vous ��couter, c'est ��tre ingrat envers lui, car personne ne le conna?t et ne le c��l��bre comme vous.
La po��sie, la grande po��sie! quelle arme dans les mains de l'homme pour combattre l'horreur du doute! La philosophie est belle et grande, soit qu'elle rejette, soit qu'elle affirme l'esp��rance. Elle aussi fouille les profondeurs, ��claire les ab?mes et rel��ve ��nergiquement la puissance intellectuelle. Par elle, celui-ci, qui croit au n��ant, se d��voue �� tripler les forces de son ��tre pour marquer son passage en ce monde. Par elle encore, celui-l��, qui croit �� sa propre immortalit��, se rend digne d'un monde meilleur. Appel �� la libre raison sur toute la ligne! Travail g��n��reux de la pens��e qui cherche Dieu toujours, quand m��me elle le nie!
Mais voici venir la po��sie. Celle-ci ne raisonne ni ne discute, elle s'impose. Elle vous saisit, elle vous enl��ve au-dessus m��me de la r��gion o�� vous vous sentiez libres. Vous pouvez bien encore discuter ses audaces et rejeter ses promesses, mais vous n'en ��tes pas moins la proie de l'��motion qu'elle suscite. C'est ce cheval fantastique qui de son vol puissant s��pare les nu��es et embrasse les horizons. Le po?te l'appelle monstrueux et divin. Il est l'un et l'autre, mais qu'on l'aime classique, comme la Gr��ce, ou qu'il ait ?l'��chev��lement des proph��tes,? il a cela d'��trange et de surnaturel que chacun voudrait pouvoir le monter, et qu'au bruit formidable de sa course, tout fr��mit du d��sir de s'envoler avec lui.
C'est la magie de cet art qui s'adresse �� la partie la plus impressionnable de l'ame humaine, �� l'imagination, au sens de l'infini, et, si le po?te vous arrache ce cri: ?C'est grand! c'est beau!? il a vaincu! Il a prouv�� Dieu, m��me sans parler de lui, car, �� propos d'un brin d'herbe, il a fait palpiter en vous l'immortalit��, il a fait jaillir de vous cette flamme qui veut monter au-dessus du r��el. Il ne vous a pas dit comme le philosophe: ?Croyez ou niez, vous ��tes libre.? Il vous a dit: ?Voyez et entendez, vous voil�� d��livr��.?
Au del�� d'une certaine r��gion o�� l'esprit humain ne peut plus affirmer rien, et o�� il craint de s'affirmer lui-m��me, le po?te peut affirmer tout. C'est le voyant qui regarde par-dessus toutes nos montagnes. Qui osera lui dire qu'il se trompe, s'il a fait passer en vous l'enthousiasme de l'inconnu, et si sa vision palpitante a fait vibrer en vous une corde que la raison et la volont�� laissaient muette?
Art et po��sie, voil�� les deux ailes de notre ame. Que la note soit terrible ou d��licieuse, elle ��veille l'instinct sublime engourdi qui s'ignore, ou le renouvelle quand elle le trouve ��puis�� par la fatigue et la tristesse. Chantez, chantez, po?te de ce si��cle! Jamais vous ne f?tes si n��cessaire �� notre g��n��ration. Promenez votre caprice dans la tendre et moqueuse antith��se du rire antique et du rire moderne:
O fra?cheur du rire! ombre pure! Myst��rieux apaisement!
Il vous est permis,
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