parole."
La petite fille roula sa tête brune avec fatigue sur l’oreiller.
"— Je ne vous comprends pas, dit-elle lassée, je ne connais au monde
que Nounou qui soit pour moi ce que vous dites. Mais, reprit-elle
aussitôt, qui donc m’a amenée ici? J’ai eu si mal que je ne me souviens
plus.
"— C’est ton amie la louve.
"— Et où suis-je?
"— Toujours dans la forêt mais loin de chez toi.
"— Loin de chez le maître, voulez-vous dire. Ah! que va-t-il faire
lorsqu’il rentrera et que le feu ne sera pas allumé et la soupe pas prête?
Rose me laisse tout faire.
"— Il fera ce qu’il voudra; il t’a à moitié assommée, moi je veux te
soigner et je te garde, voilà tout.
"— Mon Dieu! fit la fillette avec un soupir de bien-être, il me tuera
après s’il le veut, mais je suis si bien ici!"
Elle considéra de nouveau Manon et dit tout à coup:
"— Vous êtes bonne, très bonne, presque aussi bonne que Nounou;
vous lui ressemblez."
Pour elle, la louve représentait l’idéal de la bonté et du dévouement;
Manon ne parut point froissée de la comparaison et un sourire desserra
ses lèvres parcheminées.
"— A présent, dit-elle en arrangeant la couverture du lit, il faut dormir,
petite, et ne t’inquiéter de rien; nous veillons sur roi, Nounou et moi."
Elle mit un baiser sur le front de l’enfant qui, avant de s’endormir, se
demanda toute pensive, d’où venait que ce simple geste lui faisait si
grand bien au cœur.
Nounou aussi l’embrassait, mais, à sa manière, d’un coup de sa grande
langue rugueuse, et ce n’était plus comme cela.
Est-ce qu’elle aurait vraiment deux amies à présent? Oh! comme ce
serait bon, alors, et combien peu lui importeraient désormais les coups
et les injures du braconnier si elle se sentait aimée et soutenue d’autre
part?
CHAPITRE IV
POURQUOI L’A-T-IL LAISSEE VIVRE?
La Moucheronne ne se réveilla que le lendemain matin de bonne heure;
la rosée humide pendait encore aux feuilles des arbres et perlait aux
brins de gazon; les oiseaux gazouillaient leur prière; les écureuils
faisaient leur toilette; le ciel était bleu teinté de rose et le soleil jetait
son premier rayon de chaleur sur la nature rafraîchie et reposée.
La Moucheronne ouvrit les yeux, elle ne se sentait plus de mal, rien que
de l’engourdissement dans la tête et à la poitrine avec un peu de
moiteur à la peau.
Elle avait si bien dormi dans ce lit qui avait été pour elle le moelleux
d’un nid de plumes au lieu du varech séché de Favier; elle y avait eu
bien chaud et y avait fait de beaux rêves; à son réveil, elle n’avait pas
entendu la voix rude du colosse lui crier: "A l’ouvrage, donc, fainéante!
Est-ce que tu vas te reposer toute la matinée, maintenant?"
Cette cabane, elle ne la connaissait pas; certes, c’était une pauvre
masure, mais elle lui fit l’effet d’un palais; l’air ne s’y glissait pas sous
les solives recouvertes de chaume; une bonne odeur d’herbes
médicinales remplaçait l’odeur fade et écœurante de l’eau-de-vie et du
tabac dont Favier saturait son taudis; le long du mur s’alignait la
vaisselle, pauvre mais bien reluisante, formant tout l’avoir de Manon.
Manon, elle, dormait dans un vieux fauteuil de cuir, la tête renversée au
dossier, un chapelet de bois entre ses doigts ridés.
La Moucheronne se demanda ce qu’était cette espèce de collier de
perles noires qu’égrenait la vieille femme en s’assoupissant.
Enfin, accroupie à ses pieds et ne dormant que d’un œil, Nounou
reposait sa grosse tête noire sur ses longues pattes velues.
Ce tableau plein de paix et de tranquillité, quoique dépourvu de luxe et
même de bien-être, apparut à la fillette comme l’image de la félicité
parfaite, et elle se mit à songer en attendant le réveil de ses deux
gardiennes; ce réveil ne tarda pas. Nounou s’étira et vint souhaiter le
bonjour à son ancienne nourrissonne.
Manon ouvrit les yeux à son tour et s’approcha du lit où elle donna à la
petite malade le baiser du matin, puis, elle disparut dans un réduit
attenant à la maisonnette; on entendit bêler une chèvre, ce qui fit
dresser l’oreille à Nounou; mais, en louve bien élevée, elle comprit que
la chèvre de la mère Manon n’était pas une proie pour elle et demeura
paisible, auprès de sa petite amie.
Bientôt la vieille femme reparut tenant à la main un bol de lait crémeux
et nourrissant que la Moucheronne but avidement. Depuis longtemps
elle n’avait rien goûté d’aussi bon.
"Je ne puis te nourrir toi, pauvre bête, dit Manon à la louve dont elle
caressa le poil rude."
Mais l’excellent animal savait se plier aux exigences de la situation, et
d’ailleurs ses pareils peuvent supporter un long jeûne sans
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