sourire desserra ses lèvres parcheminées.
"— A présent, dit-elle en arrangeant la couverture du lit, il faut dormir, petite, et ne t’inquiéter de rien; nous veillons sur roi, Nounou et moi."
Elle mit un baiser sur le front de l’enfant qui, avant de s’endormir, se demanda toute pensive, d’où venait que ce simple geste lui faisait si grand bien au c?ur.
Nounou aussi l’embrassait, mais, à sa manière, d’un coup de sa grande langue rugueuse, et ce n’était plus comme cela.
Est-ce qu’elle aurait vraiment deux amies à présent? Oh! comme ce serait bon, alors, et combien peu lui importeraient désormais les coups et les injures du braconnier si elle se sentait aimée et soutenue d’autre part?
CHAPITRE IV
POURQUOI L’A-T-IL LAISSEE VIVRE?
La Moucheronne ne se réveilla que le lendemain matin de bonne heure; la rosée humide pendait encore aux feuilles des arbres et perlait aux brins de gazon; les oiseaux gazouillaient leur prière; les écureuils faisaient leur toilette; le ciel était bleu teinté de rose et le soleil jetait son premier rayon de chaleur sur la nature rafra?chie et reposée.
La Moucheronne ouvrit les yeux, elle ne se sentait plus de mal, rien que de l’engourdissement dans la tête et à la poitrine avec un peu de moiteur à la peau.
Elle avait si bien dormi dans ce lit qui avait été pour elle le moelleux d’un nid de plumes au lieu du varech séché de Favier; elle y avait eu bien chaud et y avait fait de beaux rêves; à son réveil, elle n’avait pas entendu la voix rude du colosse lui crier: "A l’ouvrage, donc, fainéante! Est-ce que tu vas te reposer toute la matinée, maintenant?"
Cette cabane, elle ne la connaissait pas; certes, c’était une pauvre masure, mais elle lui fit l’effet d’un palais; l’air ne s’y glissait pas sous les solives recouvertes de chaume; une bonne odeur d’herbes médicinales rempla?ait l’odeur fade et éc?urante de l’eau-de-vie et du tabac dont Favier saturait son taudis; le long du mur s’alignait la vaisselle, pauvre mais bien reluisante, formant tout l’avoir de Manon.
Manon, elle, dormait dans un vieux fauteuil de cuir, la tête renversée au dossier, un chapelet de bois entre ses doigts ridés.
La Moucheronne se demanda ce qu’était cette espèce de collier de perles noires qu’égrenait la vieille femme en s’assoupissant.
Enfin, accroupie à ses pieds et ne dormant que d’un ?il, Nounou reposait sa grosse tête noire sur ses longues pattes velues.
Ce tableau plein de paix et de tranquillité, quoique dépourvu de luxe et même de bien-être, apparut à la fillette comme l’image de la félicité parfaite, et elle se mit à songer en attendant le réveil de ses deux gardiennes; ce réveil ne tarda pas. Nounou s’étira et vint souhaiter le bonjour à son ancienne nourrissonne.
Manon ouvrit les yeux à son tour et s’approcha du lit où elle donna à la petite malade le baiser du matin, puis, elle disparut dans un réduit attenant à la maisonnette; on entendit bêler une chèvre, ce qui fit dresser l’oreille à Nounou; mais, en louve bien élevée, elle comprit que la chèvre de la mère Manon n’était pas une proie pour elle et demeura paisible, auprès de sa petite amie.
Bient?t la vieille femme reparut tenant à la main un bol de lait crémeux et nourrissant que la Moucheronne but avidement. Depuis longtemps elle n’avait rien go?té d’aussi bon.
"Je ne puis te nourrir toi, pauvre bête, dit Manon à la louve dont elle caressa le poil rude."
Mais l’excellent animal savait se plier aux exigences de la situation, et d’ailleurs ses pareils peuvent supporter un long je?ne sans trop en souffrir.
Vers onze heures, la petite fille, quoique faible encore, put se lever et se promener un peu autour de la cabane avec ses deux amies. Manon la fit causer et s’étonna de son ignorance profonde qu’expliquait cependant le genre de vie que menait l‘enfant depuis six années.
De Dieu, de la famille, de l’existence, la Moucheronne n’avait aucune idée; par exemple, elle connaissait à fond et par expérience le froid, la faim, les privations et les mauvais traitements, toutes souffrances rares heureusement dans un age aussi tendre.
Ce qu’elle connaissait bien aussi, et c’étaient là ses seules consolations avec la tendresse fidèle de Nounou, c’était la nature avec ses graces rayonnantes, la forêt avec ses enchantements; les nuits d’été avec leurs beautés sereines, la neige de l’hiver avec ses tristesses mornes mais splendides aussi; puis, les humbles habitants du bois: les insectes dorés, les lapereaux peureux, les oiseaux chanteurs, les rossignols aux suaves mélodies, les scarabées, les papillons aux ailes bleues, les phalènes du soir, les vers-luisants; elle distinguait déjà chaque arbre de la forêt, les troncs moussus, les rameaux desséchés ou les branches jeunes et pleines de sève; enfin le ruisseau babillard où la lune allait boire et se baigner, et où elle, la Moucheronne, emplissait une cruche trop lourde pour
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