Notre-Dame de Paris -- 1482 | Page 5

Victor Hugo
l'entour de
la salle, le long de la haute muraille, entre les portes, entre les croisées,
entre les piliers, l'interminable rangée des statues de tous les rois de
France depuis Pharamond; les rois fainéants, les bras pendants et les
yeux baissés; les rois vaillants et bataillards, la tête et les mains
hardiment levées au ciel. Puis, aux longues fenêtres ogives, des vitraux
de mille couleurs; aux larges issues de la salle, de riches portes
finement sculptées; et le tout, voûtes, piliers, murailles, chambranles,
lambris, portes, statues, recouvert du haut en bas d'une splendide
enluminure bleu et or, qui, déjà un peu ternie à l'époque où nous la
voyons, avait presque entièrement disparu sous la poussière et les toiles
d'araignée en l'an de grâce 1549, où Du Breul l'admirait encore par
tradition.
Qu'on se représente maintenant cette immense salle oblongue, éclairée
de la clarté blafarde d'un jour de janvier, envahie par une foule bariolée

et bruyante qui dérive le long des murs et tournoie autour des sept
piliers, et l'on aura déjà une idée confuse de l'ensemble du tableau dont
nous allons essayer d'indiquer plus précisément les curieux détails.
Il est certain que, si Ravaillac n'avait point assassiné Henri IV, il n'y
aurait point eu de pièces du procès de Ravaillac déposées au greffe du
Palais de Justice; point de complices intéressés à faire disparaître
lesdites pièces; partant, point d'incendiaires obligés, faute de meilleur
moyen, à brûler le greffe pour brûler les pièces, et à brûler le Palais de
Justice pour brûler le greffe; par conséquent enfin, point d'incendie de
1618. Le vieux Palais serait encore debout avec sa vieille grand-salle;
je pourrais dire au lecteur: Allez la voir; et nous serions ainsi dispensés
tous deux, moi d'en faire, lui d'en lire une description telle quelle.--Ce
qui prouve cette vérité neuve: que les grands événements ont des suites
incalculables.
Il est vrai qu'il serait fort possible d'abord que Ravaillac n'eût pas de
complices, ensuite que ses complices, si par hasard il en avait, ne
fussent pour rien dans l'incendie de 1618. Il en existe deux autres
explications très plausibles. Premièrement, la grande étoile enflammée,
large d'un pied, haute d'une coudée, qui tomba, comme chacun sait, du
ciel sur le Palais, le 7 mars après minuit. Deuxièmement, le quatrain de
Théophile:
Certes, ce fut un triste jeu Quand à Paris dame Justice, Pour avoir
mangé trop d'épice, Se mit tout le palais en feu.
Quoi qu'on pense de cette triple explication politique, physique,
poétique, de l'incendie du Palais de Justice en 1618, le fait
malheureusement certain, c'est l'incendie. Il reste bien peu de chose
aujourd'hui, grâce à cette catastrophe, grâce surtout aux diverses
restaurations successives qui ont achevé ce qu'elle avait épargné, il
reste bien peu de chose de cette première demeure des rois de France,
de ce palais aîné du Louvre, déjà si vieux du temps de Philippe le Bel
qu'on y cherchait les traces des magnifiques bâtiments élevés par le roi
Robert et décrits par Helgaldus. Presque tout a disparu. Qu'est devenue
la chambre de la chancellerie où saint Louis consomma son mariage? le
jardin où il rendait la justice, «vêtu d'une cotte de camelot, d'un surcot

de tiretaine sans manches, et d'un manteau pardessus de sandal noir,
couché sur des tapis, avec Joinville»? Où est la chambre de l'empereur
Sigismond? celle de Charles IV? celle de Jean sans Terre? Où est
l'escalier d'où Charles VI promulgua son édit de grâce? la dalle où
Marcel égorgea, en présence du dauphin, Robert de Clermont et le
maréchal de Champagne? le guichet où furent lacérées les bulles de
l'antipape Bénédict, et d'où repartirent ceux qui les avaient apportées,
chapés et mitrés en dérision, et faisant amende honorable par tout Paris?
et la grand-salle, avec sa dorure, son azur, ses ogives, ses statues, ses
piliers, son immense voûte toute déchiquetée de sculptures? et la
chambre dorée? et le lion de pierre qui se tenait à la porte, la tête
baissée, la queue entre les jambes, comme les lions du trône de
Salomon, dans l'attitude humiliée qui convient à la force devant la
justice? et les belles portes? et les beaux vitraux? et les ferrures ciselées
qui décourageaient Biscornette? et les délicates menuiseries de Du
Hancy?... Qu'a fait le temps, qu'ont fait les hommes de ces merveilles?
Que nous a-t-on donné pour tout cela, pour toute cette histoire gauloise,
pour tout cet art gothique? les lourds cintres surbaissés de M. de Brosse,
ce gauche architecte du portail Saint-Gervais, voilà pour l'art; et quant à
l'histoire, nous avons les souvenirs bavards du gros pilier, encore tout
retentissant des commérages des Patrus.
Ce n'est pas grand-chose.--Revenons à la véritable grand-salle du
véritable vieux Palais.
Les deux extrémités de ce gigantesque parallélogramme étaient
occupées, l'une par la fameuse table de marbre, si longue, si large et si
épaisse que
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