Notre-Dame de Paris -- 1482 | Page 3

Victor Hugo
attendant les monuments nouveaux, conservons les
monuments anciens. Inspirons, s'il est possible, à la nation l'amour de
l'architecture nationale. C'est là, l'auteur le déclare, un des buts
principaux de ce livre; c'est là un des buts principaux de sa vie.
Notre-Dame de Paris a peut-être ouvert quelques perspectives vraies
sur l'art du moyen âge, sur cet art merveilleux jusqu'à présent inconnu
des uns, et ce qui est pis encore, méconnu des autres. Mais l'auteur est
bien loin de considérer comme accomplie la tâche qu'il s'est
volontairement imposée. Il a déjà plaidé dans plus d'une occasion la
cause de notre vieillie architecture, il a déjà dénoncé à haute voix bien
des profanations, bien des démolitions, bien des impiétés. Il ne se
lassera pas. Il s'est engagé à revenir souvent sur ce sujet, il y reviendra.
Il sera aussi infatigable à défendre nos édifices historiques que nos
iconoclastes d'écoles et d'académies sont acharnés à les attaquer. Car
c'est une chose affligeante de voir en quelles mains l'architecture du
moyen âge est tombée et de quelle façon les gâcheurs de plâtre d'à
présent traitent la ruine de ce grand art. C'est même une honte pour
nous autres, hommes intelligents qui les voyons faire et qui nous
contentons de les huer. Et l'on ne parle pas ici seulement de ce qui se
passe en province, mais de ce qui se fait à Paris, à notre porte, sous nos
fenêtres, dans la grande ville, dans la ville lettrée, dans la cité de la
presse, de la parole, de la pensée. Nous ne pouvons résister au besoin
de signaler, pour terminer cette note, quelques-uns de ces actes de
vandalisme qui tous les jours sont projetés, débattus, commencés,
continués et menés paisiblement à bien sous nos yeux, sous les yeux du
public artiste de Paris, face à face avec la critique, que tant d'audace

déconcerte. On vient de démolir l'archevêché, édifice d'un pauvre goût,
le mal n'est pas grand; mais tout en bloc avec l'archevêché on a démoli
l'évêché, rare débris du quatorzième siècle, que l'architecte démolisseur
n'a pas su distinguer du reste. Il a arraché l'épi avec l'ivraie; c'est égal.
On parle de raser l'admirable chapelle de Vincennes, pour faire avec les
pierres je ne sais quelle fortification, dont Daumesnil n'avait pourtant
pas eu besoin. Tandis qu'on répare à grands frais et qu'on restaure le
palais Bourbon, cette masure, on laisse effondrer par les coups de vent
de l'équinoxe les vitraux magnifiques de la Sainte-Chapelle. Il y a,
depuis quelques jours, un échafaudage sur la tour de
Saint-Jacques-de-la-Boucherie; et un de ces matins la pioche s'y mettra.
Il s'est trouvé un maçon pour bâtir une maisonnette blanche entre les
vénérables tours du Palais de Justice. Il s'en est trouvé un autre pour
châtrer Saint-Germain-des-Prés, la féodale abbaye aux trois clochers. Il
s'en trouvera un autre, n'en doutez pas, pour jeter bas
Saint-Germain-l'Auxerrois. Tous ces maçons-là se prétendent
architectes, sont payés par la préfecture ou par les menus, et ont des
habits verts. Tout le mal que le faux goût peut faire au vrai goût, ils le
font. À l'heure où nous écrivons, spectacle déplorable! l'un d'eux tient
les Tuileries, l'un d'eux balafre Philibert Delorme au beau milieu du
visage, et ce n'est pas, certes, un des médiocres scandales de notre
temps de voir avec quelle effronterie la lourde architecture de ce
monsieur vient s'épater tout au travers d'une des plus délicates façades
de la renaissance!
Paris, 20 octobre 1832.

LIVRE PREMIER

I
LA GRAND'SALLE
Il y a aujourd'hui trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours
que les Parisiens s'éveillèrent au bruit de toutes les cloches sonnant à

grande volée dans la triple enceinte de la Cité, de l'Université et de la
Ville.
Ce n'est cependant pas un jour dont l'histoire ait gardé souvenir que le 6
janvier 1482. Rien de notable dans l'événement qui mettait ainsi en
branle, dès le matin, les cloches et les bourgeois de Paris. Ce n'était ni
un assaut de Picards ou de Bourguignons, ni une châsse menée en
procession, ni une révolte d'écoliers dans la vigne de Laas, ni une
entrée de notre dit très redouté seigneur monsieur le roi, ni même une
belle pendaison de larrons et de larronnesses à la Justice de Paris. Ce
n'était pas non plus la survenue, si fréquente au quinzième siècle, de
quelque ambassade chamarrée et empanachée. Il y avait à peine deux
jours que la dernière cavalcade de ce genre, celle des ambassadeurs
flamands chargés de conclure le mariage entre le dauphin et Marguerite
de Flandre, avait fait son entrée à Paris, au grand ennui de M. le
cardinal de Bourbon, qui, pour plaire au roi, avait dû faire bonne mine à
toute cette rustique cohue de bourgmestres flamands, et les régaler, en
son hôtel de Bourbon, d'une moult belle moralité, sotie
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