Notre-Dame de Paris -- 1482 | Page 2

Victor Hugo
de
Notre-Dame de Paris. Il y a plus, l'auteur ne comprendrait pas qu'on
ajoutât après coup des développements nouveaux à un ouvrage de ce
genre. Cela ne se fait pas à volonté. Un roman, selon lui, naît, d'une
façon en quelque sorte nécessaire, avec tous ses chapitres; un drame
naît avec toutes ses scènes. Ne croyez pas qu'il y ait rien d'arbitraire
dans le nombre de parties dont se compose ce tout, ce mystérieux
microcosme que vous appelez drame ou roman. La greffe ou la soudure
prennent mal sur des oeuvres de cette nature, qui doivent jaillir d'un
seul jet et rester telles quelles. Une fois la chose faite, ne vous ravisez
pas, n'y retouchez plus. Une fois que le livre est publié, une fois que le
sexe de l'oeuvre, virile ou non, a été reconnu et proclamé, une fois que
l'enfant a poussé son premier cri, il est né, le voilà, il est ainsi fait, père
ni mère n'y peuvent plus rien, il appartient à l'air et au soleil, laissez-le
vivre ou mourir comme il est. Votre livre est-il manqué? tant pis.
N'ajoutez pas de chapitres à un livre manqué. Il est incomplet? il fallait
le compléter en l'engendrant. Votre arbre est noué? Vous ne le
redresserez pas. Votre roman est phtisique? votre roman n'est pas
viable? Vous ne lui rendrez pas le souffle qui lui manque. Votre drame
est né boiteux? Croyez-moi, ne lui mettez pas de jambe de bois.
L'auteur attache donc un prix particulier à ce que le public sache bien
que les chapitres ajoutés ici n'ont pas été faits exprès pour cette
réimpression. S'ils n'ont pas été publiés dans les précédentes éditions du
livre, c'est par une raison bien simple. À l'époque où Notre-Dame de
Paris s'imprimait pour la première fois, le dossier qui contenait ces
trois chapitres s'égara. Il fallait ou les récrire ou s'en passer. L'auteur
considéra que les deux seuls de ces chapitres qui eussent quelque
importance par leur étendue, étaient des chapitres d'art et d'histoire qui

n'entamaient en rien le fond du drame et du roman, que le public ne
s'apercevrait pas de leur disparition, et qu'il serait seul, lui auteur, dans
le secret de cette lacune. Il prit le parti de passer outre. Et puis, s'il faut
tout avouer, sa paresse recula devant la tâche de récrire trois chapitres
perdus. Il eût trouvé plus court de faire un nouveau roman.
Aujourd'hui, les chapitres se sont retrouvés, et il saisit la première
occasion de les remettre à leur place.
Voici donc maintenant son oeuvre entière, telle qu'il l'a rêvée, telle qu'il
l'a faite, bonne ou mauvaise, durable ou fragile, mais telle qu'il la veut.
Sans doute ces chapitres retrouvés auront peu de valeur aux yeux des
personnes, d'ailleurs fort judicieuses, qui n'ont cherché dans
Notre-Dame de Paris que le drame, que le roman. Mais il est peut-être
d'autres lecteurs qui n'ont pas trouvé inutile d'étudier la pensée
d'esthétique et de philosophie cachée dans ce livre, qui ont bien voulu,
en lisant Notre-Dame de Paris, se plaire à démêler sous le roman autre
chose que le roman, et à suivre, qu'on nous passe ces expressions un
peu ambitieuses, le système de l'historien et le but de l'artiste à travers
la création telle quelle du poète.
C'est pour ceux-là surtout que les chapitres ajoutés à cette édition
compléteront Notre-Dame de Paris, en admettant que Notre-Dame de
Paris vaille la peine d'être complétée.
L'auteur exprime et développe dans un de ces chapitres, sur la
décadence actuelle de l'architecture et sur la mort, selon lui aujourd'hui
presque inévitable, de cet art-roi, une opinion malheureusement bien
enracinée chez lui et bien réfléchie. Mais il sent le besoin de dire ici
qu'il désire vivement que l'avenir lui donne tort un jour. Il sait que l'art,
sous toutes ses formes, peut tout espérer des nouvelles générations dont
on entend sourdre dans nos ateliers le génie encore en germe. Le grain
est dans le sillon, la moisson certainement sera belle. Il craint
seulement, et l'on pourra voir pourquoi au tome second de cette édition,
que la sève ne se soit retirée de ce vieux sol de l'architecture qui a été
pendant tant de siècles le meilleur terrain de l'art.

Cependant il y a aujourd'hui dans la jeunesse artiste tant de vie, de
puissance et pour ainsi dire de prédestination, que, dans nos écoles
d'architecture en particulier, à l'heure qu'il est, les professeurs, qui sont
détestables, l'ont, non seulement à leur insu, mais même tout à fait
malgré eux, des élèves qui sont excellents; tout au rebours de ce potier
dont parle Horace, lequel méditait des amphores et produisait des
marmites. Currit rota, urceus exit.
Mais dans tous les cas, quel que soit l'avenir de l'architecture, de
quelque façon que nos jeunes architectes résolvent un jour la question
de leur art, en
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