celle des autres était essentiellement politique. Les temps n'étaient pas les mêmes.
=M. ARMAND LANUSSE ET SON TEMPS.=
L'attitude d'un peuple influe, il n'y a pas à en douter, sur les dispositions de ses chefs.
Les contemporains de M. Lanusse aimaient la littérature, la peinture, la musique, le théatre, les jeux, la chasse, enfin tous les genres de plaisirs imaginables. On s'appliquait à inventer sans cesse des récréations nouvelles. C'est ainsi que les banquets, les baptêmes, les fêtes de Première Communion s'étaient si généralement recommandés au go?t de notre ancienne population. Les mariages formaient aussi des occasions de gaies manifestations. Le "jeu de gage" était l'inévitable dans les réunions sociales. Personne ne prenait d'intérêt à la cause de l'humanité; c'est qu'on ne semblait pas croire possible l'abolition de l'esclavage dans un temps prochain. Un grand nombre de personnes de couleur possédaient même des esclaves. Tout ceci veut dire que les réunions, quoique fréquentes et de nature différente, n'étaient d'aucune importance pour la société, sous le rapport du droit et de la liberté.
On se gardait bien d'y critiquer les institutions existantes: le penchant vers les satisfactions ordinaires de la vie matérielle dominait. Nous trouvons donc tout naturel que M. Lanusse, dans sa littérature, reflète les vues, les coutumes, les sentiments, les inclinations de ses contemporains.
Ce patriote, ne voyant que des poètes autour de lui, n'a pu faire autrement que de penser avec eux. Naturellement, il rêvait voir des poètes dans l'avenir et non des politiques.
Il ne pouvait attaquer l'esclavage, ou, du moins, en déplorer l'existence, puisque ses amis n'en avaient rien dit dans les Cenelles. En d'autres termes, il ne pouvait en aucune fa?on se faire agitateur, parce qu'il e?t été le seul à "agiter".
M. Lanusse n'aimait pas le trivial. Rien ne le rendait plus irritable qu'une plaisanterie de mauvais go?t.
Un jour, un ami qui connaissait son c?té sérieux s'était donné le plaisir de lui dédier une pièce de vers copiée d'un livre dont le titre ne nous est pas parvenu.
Peu de jours après, la réponse de Lanusse était publiée dans les colonnes de la Tribune. Nous n'en avons retenu que les quatre lignes suivantes:
Il (Dieu) est, vous dites vrai: tout ici nous l'atteste, La preuve abonde autant que le sable en la mer; Mais, dans beaucoup d'esprits si Dieu se manifeste Satan, sur d'autres, règne en despote d'enfer.
On voit ici nettement que le Lanusse de 1865 n'était plus le Lanusse de 1844. L'influence du milieu n'était plus la même: l'évolution avait imprimé son cachet à notre poète.
En 1865, nous voyons chez lui la force, la décision, la réflexion, et cette indépendance dans le style, décelant l'affranchissement de sa pensée de toute espèce de complaisance et d'enjouement.
Lanusse était d'abord Louisianais, à peu près dans le même sens que le citoyen d'Athènes était Athénien plut?t que Grec, ou, pour mieux dire, dans le sens que le célèbre Calhoun était Carolinien avant d'être Américain.
On peut dire qu'il ne se flattait pas de son titre d'Américain. Et l'instinct créole était encore plus prononcé chez lui que son attachement au titre de Louisianais ou au souvenir de son origine. Toutes ses prédilections, tous ses ressentiments partaient de là.
=L'INSTITUTION COUVENT=
Par testament fait en 1832, Mme Bernard Couvent avait généreusement laissé certains biens à être affectés à l'instruction des orphelins indigents catholiques du 3^{ème} district.
La clause du testament de Mme Couvent qui nous intéresse ici se lit comme suit:
"Je veux et ordonne que mon terrain, à l'encoignure des rues Grands Hommes et de l'Union, soit à perpétuité consacré et employé à l'établissement d'une école gratuite pour les orphelins de couleur du faubourg Marigny. Cette école s'établira sous la surveillance du Révérend Père Manehault ou, en cas de mort ou d'absence, se trouvera sous la surveillance de ses successeurs en office; en conséquence, j'entends que les dits terrains et édifices ne soient jamais vendus sous quelque prétexte que ce soit, mais au contraire qu'il y soit fait, par souscription ou autrement, toutes les améliorations ou additions que le temps et le nombre des enfants orphelins pourront exiger."
Par de malheureuses co?ncidences trop longtemps prolongées, ce legs était resté inutile, une grande partie en avait même été détournée du but auquel il était destiné.
Barthélemy Rey, Fran?ois Lacroix, Nelson Fouché, Emilien Brulé, Adolphe Duhart et quelques autres patriotes, ayant appris l'existence de ce bien et l'abus qu'on en faisait, se mirent à la tête d'un mouvement qui avait pour objet de contraindre l'exécuteur testamentaire à rendre un compte de sa gestion.
Ce n'était pas chose facile, car douze années s'étaient écoulées avant que les protecteurs du droit des orphelins eussent ainsi songé à obtenir justice.
Lanusse, quoique jeune, s'était joint à cette propagande et dans le cours du temps, en avait pris la direction militante.
Son énergie, unie à son intelligence, avait imprimé au mouvement une force irrésistible, et cette impulsion n'a pas peu contribué aux résultats
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