beau ciel tu crois voir ta patrie: De ton erreur, reviens, mon tendre fils, Et crois surtout en ta mère chérie... Ici, tu n'es qu'un objet de mépris."
Dix ans après, sur nos vastes frontières, On entendit le canon des Anglais, Et puis ces mots: "Courons vaincre, mes frères, Nous sommes tous nés du sang Louisianais". à ces doux mots, en embrassant ma mère, Je vous suivis en répétant vos cris, Ne pensant pas, dans ma course guerrière, Que je n'étais qu'un objet de mépris.
En arrivant sur le champ de bataille, Je combattis comme un brave guerrier: Ni les boulets non plus que la mitraille, Jamais, jamais, ne purent m'effrayer. Je me battais avec cette vaillance Dans l'espoir seul de servir mon pays, Ne pensant pas que pour ma récompense, Je ne serais qu'un objet de mépris.
Après avoir remporté la victoire, Dans ce terrible et glorieux combat, Vous m'avez tous, dans vos coupes, fait boire. En m'appelant un valeureux soldat. Moi, sans regret, avec un coeur sincère, Hélas! j'ai bu, vous croyant mes amis, Ne pensant pas, dans ma joie éphémère, Que je n'étais qu'un objet de mépris.
Mais, aujourd'hui tristement je soupire, Car j'aper?ois en vous un changement; Je ne vois plus ce gracieux sourire Qui se montrait, autrefois, si souvent, Avec éclat sur vos mielleuses bouches. Devenez-vous pour moi des ennemis?... Ah! je le vois dans vos regards farouches Je ne suis plus qu'un objet de mépris.
Quelques Créoles de bonne foi voudraient attribuer ces vers à la plume de Nicol Riquet, un de nos poètes des Cenelles, mais nous n'avons aucune raison de croire que semblable source ait pu produire une composition aussi gravement con?ue.
M. Riquet nous a laissé le Rondeau Redoublé, un morceau farci de puérilités. D'après toute apparence, ce poète avait le style enjoué, plus enclin à faire rire qu'à faire penser. Il était lui-même un de ces "satisfaits" dont le caractère était de s'éloigner des soucis, pour être mieux préparé à jouir des plaisirs de la vie matérielle. Il est donc invraisemblable de lui attribuer la pièce que nous venons de citer.
=HIPPOLYTE CASTRA=
D'ailleurs, les hommes qui ont connu Hippolyte Castra et qui ont pris connaissance de son oeuvre affirment que c'est ce grand Louisianais qui nous a fait don de cette composition noble et sérieuse. Il est vraiment regrettable que cette dernière n'ait pas trouvé sa place dans le cadre des Cenelles. Cette production valait la peine d'être conservée comme l'expression vraie, digne et tendre d'un peuple désappointé d'une fa?on aussi cruelle qu'inattendue.
Il n'y a rien de plus naturel que le début par lequel l'auteur rappelle la prophétie de sa mère: "Sous ce beau ciel tu crois voir ta patrie". Nos coeurs sentent bien l'à-propos de ces paroles touchantes.
Et puis, parlant des souvenirs de son enfance, avec quelle sublime na?veté il rapporte ces mots qu'il avait entendus: "Courons vaincre, mes frères!" Oh! n'est-ce pas ce que nous avons entendu en 1861, en 1865, en 1898, et ce que nous entendons encore dans les moments difficiles? Nous sommes tous frères quand le danger nous menace, mais nous devenons des ennemis au retour de la sécurité.
écoutez Castra dans le troisième couplet:
"Je combattis comme un brave guerrier".
On le dit dans toutes les histoires, et malgré le fait constaté, il n'y a pas de récompense pour les services ni pour le courage du héros de couleur. Mais ce n'était pas tout. Le combat était terrible, et il a "remporté la victoire".
Castra a eu le talent d'établir ses titres en faisant conna?tre ses succès. Mais la reconnaissance du pays s'est bornée à lui dire qu'il était un "valeureux soldat" et à le faire boire dans les coupes de la victoire.
Tout-à-coup, tristement il soupire, parce qu'il s'aper?oit d'un "changement". Il ne rencontre que des "regards farouches" et se voit devenu un "objet de mépris": c'est la récompense de ses triomphes et de ses sacrifices.
Il n'y a pas à douter de la valeur de cette pièce.
Castra a chanté l'infortune de ses compatriotes, et ses strophes pathétiques seront toujours pour nous un sujet palpitant à cause des grandes circonstances qui les ont dictées, à cause surtout des profondes amertumes qui les ont inspirées. Le sort d'Ogé et de l'Ouverture attire plus l'attention que la couleur de leur front ou que la nature de leurs périlleuses entreprises. Il en est de même de Pétion, fondateur de la République d'Ha?ti: on oubliera chez ce dernier le jeune homme qui a étonné le monde par sa sagesse, son génie et ses actions, pour se rappeler celui qui ne fit verser des larmes qu'à sa mort, lorsqu'il succomba au chagrin en se voyant incapable de réaliser ses espérances à l'égard de son peuple tout fra?chement sorti de la révolution.
Le martyre d'Abraham Lincoln l'a rendu la seconde idole du peuple américain. Bien qu'il ait sauvé la nation des périls de
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