des
matières, le commencement et la fin, pris ensemble, en représentent une
morale significative, presqu'une allégorie.
Nous observons que le premier morceau des CENELLES se nomme
Chant d'Amour, et le dernier, Désenchantement. Les deux pièces sont
du même auteur, mais cette circonstance ne détruit pas la conclusion à
tirer de leur contraste significatif.
Ainsi, dans un passage de la première improvisation, le poète, plein
d'espoir dans son idéal, s'exprime comme suit:
Car l'amour, l'amour seul d'une vierge adorée, Peut consoler le coeur
des maux qu'il a soufferts; C'est la fraîche Oasis, c'est la manne sacrée,
C'est la source d'eau pure au milieu des déserts.
Mais plus tard, quand "le rêve", comme l'a dit Lamartine, "tombe
devant la vérité", le poète cède à la réalité et ne croit plus au bonheur.
Alors, dans son désenchantement, il s'écrie:
"Je compte à peine un lustre après mes vingt années, Déjà, de mon
printemps, les fleurs se sont fanées; Déjà, le scepticisme a desséché
mon coeur, Déjà, je ne crois plus ici-bas au bonheur."
Que le lecteur médite un moment sur la différence qui existe entre les
premières et les dernières impressions de l'auteur. Si notre jugement n'a
pas été trompé par des circonstances plus vraisemblables que vraies, la
morale des Cenelles est sensiblement évidente. Ces hommes de mérite
ont voulu faire sentir que les doux plaisirs d'une satisfaction
quelconque ne pouvaient être durables dans un lieu où la liberté des uns
n'était pas égale à celle des autres, où l'individu provenant d'une
certaine naissance ne passait que par des joies éphémères, pour
retomber ensuite dans la tristesse au souvenir de son sort.
[Illustration: M. DANIEL DESDUNES.
Un des deux patriotes qui ont mis leur liberté en jeu dans les luttes
entreprises contre les lois dites de "Jim Crow."]
=ARMAND LANUSSE=
Justes, ne craignez point le vain pouvoir des hommes.
J.-B. Rousseau.
M. Armand Lanusse est né à la Nouvelle-Orléans en 1812, et il est mort
dans la même ville en 1867, à l'âge de cinquante-cinq ans. Son nom
indique assez qu'il était de descendance française. Ce fameux
Louisianais a reçu son éducation dans sa ville natale; il n'a jamais vu la
France qu'à "travers le prisme" de l'imagination, ce qui n'empêche qu'il
fût un homme instruit. Il l'a prouvé par ses diverses productions en
prose et en vers. Il a aussi prononcé nombre de discours très appréciés.
Ses poèmes surtout, qui sont d'un goût charmant, ont arrêté l'attention
de ses compatriotes. Doué d'un tempérament studieux, il aimait les
classiques et il s'en remplissait l'esprit. On s'en aperçoit en lisant ses
poésies.
Il affectionnait beaucoup l'étude des difficultés que présente la langue
française et ses auteurs favoris sur ces sujets étaient: Noël et Chapsal,
Poitevin, Lefranc, Bescherelle.
Il a été poète, précepteur, politique. Patriote par excellence, il s'est
occupé sérieusement de toutes les questions concernant le bien-être de
la population créole. Son zèle et son dévouement à cet égard sont au
nombre des choses les mieux connues de notre histoire. Mais afin
d'avoir une idée exacte d'Armand Lanusse, il importe de suivre les
mouvements de sa vie intéressante et bien remplie.
Avant de passer à l'analyse détaillée de notre sujet, nous voulons dire
un mot des amabilités du professeur Lanusse vis-à-vis de ses élèves de
l'Institution des Orphelins. Ce maître consciencieux et plein de
sollicitude ne perdait aucune occasion qui pût être tournée au profit de
ses élèves. Chaque année il faisait subir à ces derniers un examen. Les
parents, invités, pouvaient juger eux-mêmes des progrès de leurs
enfants. C'était une véritable fête qui durait plusieurs jours. Les écoliers
passaient des exercices d'étude à des récitations diverses. Ceux qui se
distinguaient par le savoir, la mémoire, ou par le développement d'un
talent quelconque, recevaient publiquement les compliments du
précepteur satisfait. Quelquefois, dans les occasions extraordinaires, M.
Lanusse manifestait sa satisfaction en décernant un prix à l'enfant qui
s'était surtout fait applaudir. Nous avons vivace à la mémoire le cas de
Victoria Lecène, que M. Lanusse couronna. En effet, cette jeune fille
était vraiement merveilleuse. Sa connaissance parfaite du programme
des études, le naturel qu'elle mettait dans sa déclamation de morceaux
détachés et dans l'interprétation des rôles à jouer avec d'autres enfants,
tout l'avait recommandée à cette récompense éclatante de la part de son
professeur.
M. Lanusse était traité avec déférence, à cause de ses états de service,
de ses talents, de sa franchise et de sa droiture.
Ce qui prouvait sa grandeur d'âme, c'était cette libéralité qu'on
remarquait dans ses relations de chaque jour avec tous. Malgré la
couleur blanche de sa peau, malgré l'influence des moeurs dépravantes
de son époque--époque d'esclavage et de préjugés--il n'a jamais essayé
de renier son origine. Il voyait tout le monde du même oeil. C'est du
moins ce que nous avons pu constater chaque fois qu'il nous a été
permis
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