Noa Noa | Page 8

Paul Gauguin
jupes soulev��es jusqu'�� la ceinture, rafra?chissant leurs hanches et leurs jambes irrit��es par la marche et la chaleur. Ainsi purifi��es, elles reprenaient le chemin de Papeete, la poitrine en avant, les deux coquillages qui terminent le sein pointant sous la mousseline du corsage, avec la grace et l'��lasticit�� de jeunes b��tes bien portantes. Un parfum m��lang��, animal, v��g��tal, ��manait d'elles, le parfum de leur sang, et le parfum de la fleur de gard��nia--tiar��--qu'elles portaient toutes dans les cheveux.
--T��?n�� m��rahi noa noa (maintenant bien odorant), disaient-elles.
... La princesse entrait dans ma chambre, et j'��tais sur mon lit, souffrant, v��tu seulement d'un par��o. Quelle tenue pour recevoir une femme de qualit��!
Ia orana, Gauguin, me dit-elle. Tu es malade, je viens te voir.
--Et tu te nommes?
--Va?t��a.
Va?t��a ��tait une vraie princesse, si toutefois il en est encore depuis que les Europ��ens ont dans ce pays rabaiss�� tout �� leur niveau. Le fait est, pourtant, qu'elle arrivait l�� en tr��s simple mortelle, pieds nus, une fleur odorante �� l'oreille, en robe noire. Elle portait le deuil du roi Pomar��, de qui elle ��tait la ni��ce. Son p��re, Tamatoa, malgr�� les in��vitables contacts avec les officiers, les fonctionnaires, malgr�� les r��ceptions chez l'amiral, n'avait jamais voulu ��tre qu'un royal Maorie, gigantesque batteur d'hommes dans ses moments de col��re, et, aux soirs d'orgie, c��l��bre minotaure. Il ��tait mort. Va?t��a, pr��tendait-on, lui ressemblait beaucoup.
Avec l'insolence de tout Europ��en qui vient de d��barquer, casqu�� de blanc, dans l'Ile, je regardais, un sourire sceptique aux l��vres, cette princesse d��chue.
Mais je voulus ��tre poli.
--C'est aimable �� toi d'��tre venue, Va?t��a. Veux-tu que nous prenions ensemble l'absinthe?
Et du doigt je lui montrais, par terre, dans un coin de la chambre, une bouteille que pr��cis��ment je venais d'acheter.
Simplement, sans manifester ni ennui ni satisfaction, elle s'avan?a vers l'endroit d��sign�� et se baissa pour prendre la bouteille. Sa l��g��re robe transparente se tendit, dans ce mouvements, sur ses reins,--des reins �� porter un monde! Oh, certes, c'��tait bien une princesse! Ses a?eux? des g��ants fiers et braves. Sur ses larges ��paules la t��te ��tait fortement plant��e, dure, orgueilleuse, f��roce. Je ne vis d'abord que ses machoires d'anthropophage, ses dents pr��tes �� d��chirer, son regard oblique d'animal cruel et rus��, et, malgr�� un tr��s beau et noble front, je la trouvai tout �� fait laide.
--Pourvu qu'elle ne vienne pas s'asseoir sur mon lit! Jamais une si faible menuiserie ne nous supporterait tous deux....
C'est justement ce quelle fit.
Le lit craqua, mais r��sista.
Tout en buvant, nous ��changions quelques mots. La conservation, toutefois, ne parvenait pas �� s'animer. Elle finit par languir, et le silence s'��tablit.
J'observais la princesse �� la d��rob��e, elle me regardait du coin de l'oeil, et le temps passait, et la bouteille filait. Va?t��a buvait bravement.
Elle fit une cigarette tahitienne et s'allongea sur le lit pour fumer. Ses pieds caressaient d'un geste machinal, continu, le bois d'extr��mit��; sa physionomie s'adoucissait, s'attendrissait sensiblement, ses yeux brillaient, un sifflement r��gulier s'��chappait de ses l��vres--et j'imaginais, �� l'��couter, le f��lin qui ronronne en m��ditant quelque sanglante sensualit��.
Comme je suis changeant, je la trouvais maintenant tout �� fait belle, et quand elle me dit, de la saccade dans la voix: "Tu es gentil," un grand trouble m'envahit. D��cid��ment la princesse ��tait d��licieuse....
Elle se mit �� r��citer une fable, sans doute pour me faire plaisir, une fable de la Fontaine--souvenir de son enfance, chez les soeurs qui l'avaient instruite: La Cigale et la Fourmi.
La cigarette ��tait toute partie en fum��e.
--Tu sais, Gauguin, fit la princesse en se levant, je n'aime pas ton La Fontaine.
--Comment? Notre bon La Fontaine!
--Peut ��tre est il bon, mais ses morales sont laides. Les fourmis.... (et sa bouche exprimait le d��go?t). Ah! les cigales, oui! Chanter, chanter, toujours chanter!
Et fi��rement elle ajouta, sans me regarder, les yeux enflamm��s et s'adressant loin:
--Quel beau royaume ��tait le n?tre, quand on n'y vendait rien! Toute l'ann��e on chantait... Chanter, toujours! Donner, toujours!...
Et elle s'en alla.
Je remis la t��te sur l'oreiller, et longtemps je caressai du souvenir ces syllabes:
--Ia orana, Gauguin.
Cet ��pisode, que je retrouve dans ma m��moire avec la mort de Pomar��, y a laiss�� plus de traces que l'��v��nement et le c��r��monial publics.
Eux-m��mes, les habitants de Papeete, tant les naturels que les blancs, ne tard��rent pas �� oublier le d��funt. Ceux qui ��taient venus des ?les voisines pour assister aux royales obs��ques partirent, encore une fois la mer bleue se sillonna de mille voiles orang��es, et tout rentra dans l'ordre habituel.
Il n'y avait qu'un roi de moins.
Avec lui disparaissaient les derniers vestiges des traditions anciennes. Avec lui se fermait l'histoire maorie. C'��tait bien fini. La civilisation, h��las!--soldatesque, n��goce et fonctionnarisme--triomphait.
Une tristesse profonde s'empara de moi. Le r��ve qui m'avait amen�� �� Tahiti recevait des faits un d��menti brutal. C'��tait la Tahiti d'autrefois que j'aimais. Celle du pr��sent me faisait horreur.
A voir, pourtant, le persistante beaut�� physique de la
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