Noa Noa | Page 7

Paul Gauguin
heures du matin, je me pr��sentai chez le gouverneur, le n��gre Lacascade, qui me re?ut comme un homme d'importance.
Je devais cette honneur �� la mission que m'avait confi��e-je ne sais trop pourquoi--le gouvernement fran?ais. Mission artistique, il est vrai; mais ce mot, dans l'esprit du n��gre, n'��tait que le synonyme officiel d'espionnage, et je fis de vains efforts pour le d��tromper. Tout le monde, autour de lui, partagea son erreur, et, quand je dis que ma mission ��tait gratuite, personne ne voulut me croire.
La vie, �� Papeete, me devint bien vite �� charge.
C'��tait l'Europe--l'Europe dont j'avais cru m'affranchir!
--sous les esp��ces aggravantes encore du snobisme colonial, l'imitation, grotesque jusqu'�� la caricature, de nos moeurs, modes, vices et ridicules civilis��s.
Avoir fait tant de chemin pour trouver cela, cela m��me que je fuyais!
Pourtant, un ��v��nement public m'int��ressa.
En ce temps-l��, le roi Pomar�� ��tait mortellement malade, et, chaque jour, on s'attendait �� la catastrophe.
Peu �� peu, la ville avait pris un aspect singulier.
Tous les Europ��ens, commer?ants, fonctionnaires, officiers et soldats, continuaient �� rire et �� chanter dans les rues, tandis que les naturels, avec des airs graves, s'entretenaient �� voix basse autour du palais. Dans la rade, un mouvement anormal de voiles orang��es sur la mer bleue, avec le fr��quent et brusque ��tincellement argent��, sous le soleil, de la ligne des r��cifs: c'��taient les habitants des ?les voisines, qui accouraient pour assister aux derniers moments de leur roi,--�� la prise de possession d��finitive de leur empire par la France.
Des signes d'en haut les avaient avertis: car, chaque fois qu'un roi doit mourir, les montagnes se tachent de plaques sombres sur certains versants, au coucher du soleil.
Le roi mourut, et fut, dans son palais, en grand costume d'amiral, expos�� aux yeux de tous.
L�� je vis la reine. Mara��, tel ��tait son nom, ornait de fleurs et d'��toffes le salon royal.--Comme le directeur des travaux publics me demandait un conseil pour ordonner artistement le d��cor fun��raire, je lui indiquai la reine qui, avec le bel instinct de sa race, r��pandait la grace autour d'elle et faisait un objet d'art de tout ce qu'elle touchait.
Mais je ne la compris qu'imparfaitement, �� cette premi��re entrevue. D��?u par des ��tres et des choses si diff��rents de ce que j'avais d��sir��, ��coeur�� par toute cette trivialit�� europ��enne, trop r��cemment d��barqu�� pour avoir pu d��m��ler ce qui persiste de national dans cette race vaincue, de r��alit�� fonci��re et de beaut�� primitive sous le factice et d��sobligeant placage de nos importations, j'��tais en quelque sorte aveugle. Aussi ne vis-je en cette reine, d'un age d��j�� m?r, qu'une femme ordinaire, ��paisse, avec de nobles restes. Quand je la revis, plus tard, je rectifiai mon premier jugement, je subis l'ascendant de son "charme maorie". En d��pit de tous m��langes, le type tahitien ��tait, chez elle, tr��s pur. Et puis, le souvenir de l'a?eul, le grand chef Tati, lui donnait, comme �� son fr��re, comme �� toute sa famille, des dehors de grandeur vraiment imposants. Elle avait cette majestueuse forme sculpturale de l�� bas, ample �� la fois et gracieuse, avec ces bras qui sont les deux colonnes d'un temple, simples, droits, la ligne horizontale et longue des ��paules, et le haut vaste se terminant en pointe,--construction corporelle qui ��voque invinciblement dans ma pens��e le Triangle de la Trinit��.--Dans ses yeux brillait parfois comme un pressentiment vague des passions qui s'allument brusquement et embrasent aussit?t la vie alentour,--et c'est ainsi peut ��tre, que l'Ile elle-m��me a surgi de l'Oc��an et que les plantes y ont fleuri au rayon du premier soleil....
Tous les Tahitiens se v��tirent de noir, et, deux jours durant, on chanta des im��n��s de deuil, des chants de mort. Je croyais entendre la Sonate Path��tique.
Vint le jour de l'enterrement.
A dix heures du matin, on partit du palais. La troupe et les autorit��s, casques blancs, habits noirs, et les naturels dans leur costume attrist��. Tous les districts marchaient en ordre, et le chef de chacun d'eux portait le pavillon fran?ais.
Au bourg d'Aru?, on s'arr��ta. L�� se dressait un monument indescriptible, qui formait avec le d��cor v��g��tal et l'atmosph��re le plus p��nible contraste: amas informe de pierres de corail reli��es par du ciment.
Lacascade pronon?a un discours, clich�� connu, qu'un interpr��te traduisit ensuite pour l'assistance fran?aise. Puis, le pasteur protestant fit un pr��che. Enfin, Tati, fr��re de la reine, r��pondit,--et ce fut tout: on partait; les fonctionnaires s'entassaient dans des carrioles; cela rappelait quelque "retour de courses."
Sur la route, �� la d��bandade, l'indiff��rence des Fran?ais donnant le ton, tout ce peuple, si grave depuis plusieurs jours, recommen?ait �� rire. Les vahin��s reprenaient le bras de leur tan��s, parlaient haut, dodelinaient des fesses, tandis que leurs larges pieds nus foulaient lourdement la poussi��re du chemin.
Pr��s de la rivi��re de la Fat��a, ��parpillement g��n��ral. De place en place, cach��es entre les cailloux, les femmes s'accroupissaient dans l'eau, leurs
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