heures du matin, je me présentai chez le gouverneur, le nègre Lacascade, qui me re?ut comme un homme d'importance.
Je devais cette honneur à la mission que m'avait confiée-je ne sais trop pourquoi--le gouvernement fran?ais. Mission artistique, il est vrai; mais ce mot, dans l'esprit du nègre, n'était que le synonyme officiel d'espionnage, et je fis de vains efforts pour le détromper. Tout le monde, autour de lui, partagea son erreur, et, quand je dis que ma mission était gratuite, personne ne voulut me croire.
La vie, à Papeete, me devint bien vite à charge.
C'était l'Europe--l'Europe dont j'avais cru m'affranchir!
--sous les espèces aggravantes encore du snobisme colonial, l'imitation, grotesque jusqu'à la caricature, de nos moeurs, modes, vices et ridicules civilisés.
Avoir fait tant de chemin pour trouver cela, cela même que je fuyais!
Pourtant, un événement public m'intéressa.
En ce temps-là, le roi Pomaré était mortellement malade, et, chaque jour, on s'attendait à la catastrophe.
Peu à peu, la ville avait pris un aspect singulier.
Tous les Européens, commer?ants, fonctionnaires, officiers et soldats, continuaient à rire et à chanter dans les rues, tandis que les naturels, avec des airs graves, s'entretenaient à voix basse autour du palais. Dans la rade, un mouvement anormal de voiles orangées sur la mer bleue, avec le fréquent et brusque étincellement argenté, sous le soleil, de la ligne des récifs: c'étaient les habitants des ?les voisines, qui accouraient pour assister aux derniers moments de leur roi,--à la prise de possession définitive de leur empire par la France.
Des signes d'en haut les avaient avertis: car, chaque fois qu'un roi doit mourir, les montagnes se tachent de plaques sombres sur certains versants, au coucher du soleil.
Le roi mourut, et fut, dans son palais, en grand costume d'amiral, exposé aux yeux de tous.
Là je vis la reine. Maraü, tel était son nom, ornait de fleurs et d'étoffes le salon royal.--Comme le directeur des travaux publics me demandait un conseil pour ordonner artistement le décor funéraire, je lui indiquai la reine qui, avec le bel instinct de sa race, répandait la grace autour d'elle et faisait un objet d'art de tout ce qu'elle touchait.
Mais je ne la compris qu'imparfaitement, à cette première entrevue. Dé?u par des êtres et des choses si différents de ce que j'avais désiré, écoeuré par toute cette trivialité européenne, trop récemment débarqué pour avoir pu démêler ce qui persiste de national dans cette race vaincue, de réalité foncière et de beauté primitive sous le factice et désobligeant placage de nos importations, j'étais en quelque sorte aveugle. Aussi ne vis-je en cette reine, d'un age déjà m?r, qu'une femme ordinaire, épaisse, avec de nobles restes. Quand je la revis, plus tard, je rectifiai mon premier jugement, je subis l'ascendant de son "charme maorie". En dépit de tous mélanges, le type tahitien était, chez elle, très pur. Et puis, le souvenir de l'a?eul, le grand chef Tati, lui donnait, comme à son frère, comme à toute sa famille, des dehors de grandeur vraiment imposants. Elle avait cette majestueuse forme sculpturale de là bas, ample à la fois et gracieuse, avec ces bras qui sont les deux colonnes d'un temple, simples, droits, la ligne horizontale et longue des épaules, et le haut vaste se terminant en pointe,--construction corporelle qui évoque invinciblement dans ma pensée le Triangle de la Trinité.--Dans ses yeux brillait parfois comme un pressentiment vague des passions qui s'allument brusquement et embrasent aussit?t la vie alentour,--et c'est ainsi peut être, que l'Ile elle-même a surgi de l'Océan et que les plantes y ont fleuri au rayon du premier soleil....
Tous les Tahitiens se vêtirent de noir, et, deux jours durant, on chanta des iménés de deuil, des chants de mort. Je croyais entendre la Sonate Pathétique.
Vint le jour de l'enterrement.
A dix heures du matin, on partit du palais. La troupe et les autorités, casques blancs, habits noirs, et les naturels dans leur costume attristé. Tous les districts marchaient en ordre, et le chef de chacun d'eux portait le pavillon fran?ais.
Au bourg d'Aru?, on s'arrêta. Là se dressait un monument indescriptible, qui formait avec le décor végétal et l'atmosphère le plus pénible contraste: amas informe de pierres de corail reliées par du ciment.
Lacascade pronon?a un discours, cliché connu, qu'un interprète traduisit ensuite pour l'assistance fran?aise. Puis, le pasteur protestant fit un prêche. Enfin, Tati, frère de la reine, répondit,--et ce fut tout: on partait; les fonctionnaires s'entassaient dans des carrioles; cela rappelait quelque "retour de courses."
Sur la route, à la débandade, l'indifférence des Fran?ais donnant le ton, tout ce peuple, si grave depuis plusieurs jours, recommen?ait à rire. Les vahinés reprenaient le bras de leur tanés, parlaient haut, dodelinaient des fesses, tandis que leurs larges pieds nus foulaient lourdement la poussière du chemin.
Près de la rivière de la Fatüa, éparpillement général. De place en place, cachées entre les cailloux, les femmes s'accroupissaient dans l'eau, leurs
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