dérober ses secrets. Je le vois contemplant cette enfant énigmatique, et pourtant nue dans son ame comme dans son corps, malgré, non pas aucune ruse, mais l'extrême mobilité de sa fantaisie qui précipite et brouille perpétuellement le kaléidoscope de ses pensées, unité nuancée d'une succession de contradictoires caprices qu'on croirait simultanés, tant des uns aux autres le passage est rapide. Je le vois poursuivant sa passionnante chasse au mystère et faisant parler le silence. Il sent peser sur cette jeune vivante l'ombre du vieux passé. Il cherche dans ce visage, où la chaleur du sang permet à peine aux souvenirs personnels de s'inscrire, les traces de cet insondable passé que la fécondité de la terre n'a pas permis aux a?eux de Téhura de fixer sur le sol par de durables monuments: car les végétaux ont lentement et s?rement repris à la pierre, dont le domaine est dans la nuit de la terre, la surface du sol, qui leur appartient*. La Maorie se laisse posséder, elle ne se livre pas. Toujours au bord du dernier mot elle se tait, au bord du seul mot qui e?t tout dit, et son incompréhensible sourire intervient avec le silence, réservant l'intime vérité hors des prises humaines. Et la certitude ne sera jamais. Non plus la lassitude: avec le sourire, voici que tout l'être s'est renouvelé, sollicitant à de nouvelles études, gaiement, la curiosité jamais émoussée.
* Il convient d'ajouter que "l'expansion coloniale" de l'occident civilisateur a vivement achevé l'oeuvre des végétaux.
Peu à peu, dans les recherches de l'artiste, le type d'une Eve dernière s'informe, physique et comme végétale, le robuste jaillissement d'un jeune arbre dans l'aboutissement épuisé d'une hérédité longue, avec la consécration de l'antiquité fabuleuse qui fait le fond de ses regrets et de son orgueil, avec le sceau de ce vieux, de cet insondable passé où rêvent ses instincts, ses plaisirs, ses terreurs. Elle a dans Jadis son orient et rien ne na?tra d'elle, idole et prêtresse d'un culte défunt.
IV.
Parahi té Mara?: la réside le Temple.
Car le Temple, lieu ouvert et le sommet de la montagne que touchent les pieds des Dieux, est lui-même un vivant. Ici, lui seul: à son contact meurt la nature, de terreur ou d'amour, et les cimes des grands arbres s'inclinent au seuil de l'enceinte aride.
Lieu de grandeur et d'horreur; nudité des rites mortuaires; là coula le sang humain: et des têtes de morts, témoignages sculptés sur la barrière qui cerne le Temple, précisent.
Vue de ce sommet, la vie--en bas, dans les jardins du rivage, si gaie, tout le jour--n'appara?t plus vraie qu'en ses heures nocturnes, alors que les rieurs de midi se taisent et frissonnent.
Est-ce du Temple qu'ils descendent avec la nuit, les Tupapaüs, les esprits malfaisants, et qu'ils s'en vont, quand les épouvantements de l'ombre les raniment, chuchoter d'étranges paroles aux oreilles des jeunes filles?
Est-ce l'héréditaire effroi des crimes sacrés, est-ce la mort des Dieux eux-mêmes, qui marque de tant d'apre tristesse le lieu où fut leur Temple? Qui sait? Mais là règne la mort et de là elle rayonne sur l'Ile.
Est-ce le remords des meurtres ou le regret des Dieux, est-ce le regret des Dieux ou la peur de les suivre dans la tombe noire où l'oubli les relègue, est-ce le danger d'hier ou celui de demain qui livre aux larves du mal les douces nuits de l'Ile Heureuse?
Est-ce sur le sommet où réside le Temple que Téfatou répondit aux insidieux conseils d'Hina:
--L'homme mourra!
* * * * *
Deux jeunes femmes, deux Tahitiennes aux beaux visages graves et na?fs, contemplent une Autre femme, de stature doucement surhumaine et portant à l'épaule un Enfant qui, d'un geste calin, repose sa tête sur la tête de sa mère. Autour des deux têtes la divine auréole. Derrière les spectatrices aux mains jointes, se tient un ange parmi les fleurs, riche, calme, lui-même une royale fleur.
--la orana, Maria, disent-elles: "Je vous salue, Marie."
Et la nature est, toute, une prière, de suavité, de luxuriance, qui reflète le sourire de la Vierge, un sourire où s'épanouissent ensemble le plaisir et la piété,--le majestueux et le mutin de la Déesse et de la femme, telles que ces ames naturelles peuvent à travers celle-ci concevoir celle-là, telles qu'elles les adoraient, jadis, toutes deux, dans la tendre Hina:
--la orana, Hina.
* * * * *
Ainsi, par la souple arabesque qui va des premiers étonnements à la compréhension, et qui comporte un état spirituel de ferveur docile et lucide, tu vois que cette oeuvre, et, en elle deviné, son objet, sont, l'une, un rite de joie rythmé de tremblement, comme, l'autre, l'occasion d'être heureux sans espérance.
Lecteur, c'est le point de vue--il fallait le dire--de ce livre; l'objet de l'oeuvre écrite est celui de l'oeuvre peinte, en l'oeuvre peinte per?u, puis littérairement (selon, toutefois, et comme le prescrivait le fait de la collaboration, des procédés déjà vérifiés par
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