Niels Henrik Abel | Page 9

G. Mittag-Leffler
série du binôme
fut publié dans le premier volume du propre journal de Crelle, traduit
en allemand par Crelle lui-même sur le manuscrit français d'Abel. Ceci
n'a pas empêché Crelle, après la mort d'Abel, de publier dans les
quatrième et cinquième volumes de son Journal, un mémoire sur le
même sujet, où il s'en tient absolument aux vieilles conceptions

anté-abéliennes, et se montre parfaitement inconscient de ce fait, que la
question a été définitivement résolue par Abel. Mais si Crelle, pas plus
que les amis norvégiens d'Abel, ne comprit ses travaux, il comprit du
moins le génie d'Abel, et, l'ayant compris, il devint l'ami utile et le
protecteur d'Abel. Dès la première visite d'Abel, Crelle avait parlé de
son projet de publier une grande revue mathématique allemande. Les
relations avec Abel et la perspective de sa collaboration hâtèrent la
réalisation du projet. Le premier fascicule du Journal für die reine und
angewandte Mathematik, la grande oeuvre de Crelle, qui depuis a déjà
atteint son 124e volume, parut en février 1826. Le premier volume
contient déjà sept mémoires divers d'Abel. Ils avaient été rédigés en
français, mais traduits par Crelle en allemand. L'occasion s'était ainsi
offerte à Abel de faire connaître ses découvertes, par un organe
international, aux mathématiciens contemporains. Mais que le Journal
de Crelle soit devenu un organe international, qui a eu pendant
longtemps une situation prépondérante parmi les publications
mathématiques, le mérite en appartient essentiellement à Abel, dont les
travaux, dès le premier moment, ont placé la revue au plus haut rang
possible. Pendant l'hiver 1825-1826 commença pour Abel un temps de
production sans répit et de grande joie créatrice. Sa plume ne faisait que
passer d'un travail à un autre. Au fond, la plus grande partie était
achevée, au départ de Kristiania, mais la mise en oeuvre pour
l'impression eut lieu à Berlin. Cependant la mélancolie et la nostalgie
l'assiègent souvent. Il écrit à sa maternelle amie Mme Hansteen le 8
décembre 1825:
Je vis d'ailleurs d'une manière extrêmement calme et je suis assez
occupé; mais j'ai par moments une nostalgie terrible, d'autant plus
grande que les nouvelles de chez nous sont d'une rareté navrante.
Et le 16 janvier 1826:
C'est si singulier de se trouver au milieu d'étrangers. Dieu sait comment
je le supporterai lorsque je me séparerai de mes compatriotes. Ce sera
au commencement du printemps.
Ses distractions étaient le théâtre, qu'il aimait fort, et la vie de société
chez Crelle. Il raconte à Mme Hansteen:

A Noël, j'ai été au bal chez le conseiller privé Crelle, mais je n'ai pas
osé danser, bien que j'eusse soigné ma toilette comme je ne l'avais
jamais fait. Pensez, j'étais tout neuf de la tête aux pieds, avec double
gilet, col empesé et lunettes. Vous voyez que je commence à suivre les
conseils de votre soeur Charite, j'espère que ce sera complet quand
j'arriverai à Paris.
Le coeur tendre d'Abel ne semble pas, malgré les fiançailles avec
Kristine Kemp, avoir été insensible au charme de Charite, « la
charmante, la toute bonne Charite », dit-il dans une autre lettre.
Peu de temps après le départ d'Abel de Kristiania, eut lieu dans son
pays un drame universitaire qui eut une grande importance pour son
court avenir. Le professeur de mathématiques, Rasmussen, avait pris sa
retraite, et il s'agissait de lui désigner un successeur. Dès le 6 décembre
1825, la Faculté propose pour ce poste l'ami et le maître d'Abel,
Holmboe. En même temps la Faculté attire toutefois « l'attention sur
l'étudiant N. Abel, comme un homme qui, tant par son talent pour les
mathématiques que par ses grandes connaissances dans cette science,
pourrait entrer en ligne de compte pour la nomination audit poste, mais
que l'on ne pourrait sans dommage pour l'avenir de ses études faire
revenir maintenant de son voyage à l'étranger, qu'il vient d'entreprendre,
et qui ne paraît pas pouvoir s'adapter aussi aisément à la capacité des
jeunes étudiants, qu'un maître plus exercé ».
La manière de raisonner de la Faculté est aussi habituelle qu'elle est
radicalement fausse. Le point de départ est que la médiocrité pourra
plus facilement que le génie s'adapter aux capacités des jeunes
étudiants. Il n'existe aucun mathématicien qui surpasse Abel pour la
clarté et l'élégance du style, pour l'habileté à présenter d'une manière
simple même les pensées les plus profondes et les plus difficiles, et il
n'est pas nécessaire d'être grand connaisseur de son oeuvre pour être
intimement persuadé qu'il aurait su enseigner comme personne. Il était
mal compris des anciens, dont les conceptions mathématiques étaient
fixées; déraciner des préjugés et élucider des conceptions établies, mais
obscures, est une tout autre tâche que d'exposer la vérité depuis le
commencement. Pourquoi les « capacités des jeunes étudiants »

seraient-elles inférieures à celles des anciens? C'est le contraire qui se
produit le plus souvent. Tout mathématicien véritable
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