Niels Henrik Abel | Page 5

G. Mittag-Leffler
en cela de beaucoup d'autres mathématiciens, était un lecteur assidu des travaux des autres. Ceci s'applique particulièrement aux premières années, avant qu'il ne commen?at véritablement à produire. Il eut de bonne heure un sentiment assez juste de sa propre importance pour vouloir, armé d'abord du meilleur savoir de l'époque, se présenter lui-même comme auteur. Ainsi s'explique la haute éducation universelle, la large vue sur tout le terrain parcouru, que nous trouvons chez lui dès les premiers débuts. Les registres des prêts, d'abord de l'école cathédrale, et ensuite de la bibliothèque de l'université de Kristiania, montrent l'étendue de ses lectures mathématiques, et aussi avec quelle s?reté de jugement il s'adressait toujours aux vieux auteurs classiques.
Les premiers mémoires d'Abel sont écrits en norvégien, mais il commen?a peu après son retour du voyage de Copenhague à écrire en fran?ais, même lorsqu'il ne rédigeait que pour lui-même. Les notes d'études montrent qu'à l'école il était un élève médiocre en fran?ais. Il comprit que, en possession de tout l'essentiel des connaissances mathématiques de son temps, il était appelé à devenir le grand mathématicien deviné par Holmboe, mais qu'il avait besoin pour cela d'une autre langue que la langue maternelle, et il apprit le fran?ais vite et bien. Qu'il chois?t le fran?ais et non le latin, dont la situation comme langue de la science, bien que les principaux chefs-d'oeuvre de Gauss fussent encore écrits en latin, déjà touchait à sa fin, est une preuve de plus de la s?reté de son jugement. C'est aussi en fran?ais qu'il rédigea le mémoire disparu ? Intégration de différentielles ?, qui doit renfermer les premiers traits de ses plus grandes découvertes analytiques. Ce mémoire excita l'admiration des professeurs de Kristiania, et fut envoyé par le collège académique au ministère de l'Instruction publique, avec cette indication, qu'un séjour à l'étranger pourrait être utile pour l'avenir d'Abel, et le désir qu'une bourse convenable lui f?t accordée. Le ministère de l'Instruction publique, sans exprimer d'opinion propre, demanda l'avis du ministère des Finances. Le ministère des Finances, où devait régner cette conception, si répandue chez les hommes d'argent, que le r?le d'un financier est de donner de bons conseils plut?t que de l'argent, ne se contente pas de donner un avis financier, mais répond qu'il trouve Abel beaucoup trop jeune pour être déjà envoyé à l'étranger, et qu'il serait meilleur pour lui de recevoir une bourse d'une année afin de pouvoir se développer à l'université nationale dans les langues et autres sciences accessoires. Le ministère était en état de fournir les moyens. Le ministère de l'Instruction publique demande alors au collège académique son opinion sur la proposition du ministère des Finances. Le collège académique se rend, et explique qu'Abel est certainement déjà assez avancé en humanités, et que toutefois peut-être il pourrait être utile pour lui de rester encore quelques années à l'université, et de consacrer ces années ? à une étude plus approfondie des langues savantes ?. Naturellement, le temps des langues savantes comme langues de la science était passé, Abel le savait, mais comment un pareil fait aurait-il pu être connu du collège académique? Les collèges académiques en sont restés au même point beaucoup plus tard. M. Stoermer a eu le mérite de mettre au jour cet échange de notes, empreintes de ridicule et lamentables: il suffit de songer que ceci avait lieu en l'an de grace 1824, l'année même ou Abel, agé de vingt-deux ans, est devenu d'un coup le plus grand penseur que le Nord e?t produit jusqu'alors, le plus grand fils de sa patrie, et l'un des premiers mathématiciens de tous les temps et de tous les pays: ceci apparaissait probablement déjà dans le mémoire sur les différentielles, mais de fa?on certaine dans son mémoire, composé la même année: ? Mémoire sur les équations algébriques où on démontre l'impossibilité de la résolution de l'équation générale du cinquième degré. ?
Il est hors de doute qu'Abel avait trouvé bien vite la faute qui se trouvait dans son travail d'écolier, cette solution de l'équation du cinquième degré, qui avait tant intéressé Degen; mais au lieu d'abandonner le problème comme désespéré, il s'attaqua, avec l'intrépidité imperturbable de la jeunesse, à la tache que les forces d'un Gauss n'avaient pu ma?triser, à celle de trancher si le problème était décidément soluble, s'il est décidément possible de résoudre l'équation du cinquième degré au moyen de radicaux. La réponse fut négative, et la démonstration d'Abel pourrait être considérée comme le fondement même de l'algèbre après lui. Le mémoire parut en tirages à part d'une demi- feuille, et, pour économiser sur la dépense d'impression, couverte par Abel lui-même, avec la rédaction la plus concise et sous la forme la plus pauvre. Il fut publié par la même maison qui plus tard donna les deux magnifiques éditions des oeuvres complètes d'Abel.
Les années 1824 et 1825 furent consacrées à
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