l'on se rassure et où l'on rit de l'énormité en question,
l'exécuter. Ainsi il a fait pour le coup d'état, ainsi pour les décrets de
proscription, ainsi pour la spoliation des princes d'Orléans; ainsi il fera
pour l'invasion de la Belgique et de la Suisse, et pour le reste. C'est là
son procédé; pensez-en ce que vous voudrez; il s'en sert, il le trouve
bon, cela le regarde. Il aura à démêler la chose avec l'histoire.
On est de son cercle intime; il laisse entrevoir un projet qui semble, non
immoral, on n'y regarde pas de si près, mais insensé et dangereux, et
dangereux pour lui-même; on élève des objections; il écoute, ne répond
pas, cède quelquefois pour deux ou trois jours, puis reprend son dessein,
et fait sa volonté.
Il y a à sa table, dans son cabinet de l'Élysée, un tiroir souvent
entr'ouvert. Il tire de là un papier, le lit à un ministre, c'est un décret. Le
ministre adhère ou résiste. S'il résiste, Louis Bonaparte rejette le papier
dans le tiroir où il y a beaucoup d'autres paperasses, rêves d'homme
tout-puissant, ferme ce tiroir, en prend la clef, et s'en va sans dire un
mot. Le ministre salue et se retire charmé de la déférence. Le
lendemain matin, le décret est au Moniteur.
Quelquefois avec la signature du ministre.
Grâce à cette façon de faire, il a toujours à son service l'inattendu,
grande force; et, ne rencontrant en lui-même aucun obstacle intérieur
dans ce que les autres hommes appellent conscience, il pousse son
dessein, n'importe à travers quoi, nous l'avons dit, n'importe sur quoi, et
touche son but.
Il recule quelquefois, non devant l'effet moral de ses actes, mais devant
l'effet matériel. Les décrets d'expulsion de quatrevingt-quatre
représentants, publiés le 6 janvier par le Moniteur, révoltèrent le
sentiment public. Si bien liée que fût la France, on sentit le
tressaillement. On était encore très près du 2 décembre; toute émotion
pouvait avoir son danger. Louis Bonaparte le comprit. Le lendemain 10,
un second décret d'expulsion devait paraître, contenant huit cents noms.
Louis Bonaparte se fit apporter l'épreuve du Moniteur, la liste
remplissait quatorze colonnes du journal officiel. Il froissa l'épreuve, la
jeta au feu, et le décret ne parut pas. Les proscriptions continuèrent,
sans décret.
Dans ses entreprises il a besoin d'aides et de collaborateurs; il lui faut
ce qu'il appelle lui-même «des hommes». Diogène les cherchait tenant
une lanterne, lui il les cherche un billet de banque à la main. Il les
trouve. De certains côtés de la nature humaine produisent toute une
espèce de personnages dont il est le centre naturel et qui se groupent
nécessairement autour de lui selon cette mystérieuse loi de gravitation
qui ne régit pas moins l'être moral que l'atome cosmique. Pour
entreprendre «l'acte du 2 décembre», pour l'exécuter et pour le
compléter, il lui fallait de ces hommes; il en eut. Aujourd'hui il en est
environné; ces hommes lui font cour et cortège; ils mêlent leur
rayonnement au sien. À de certaines époques de l'histoire, il y a des
pléiades de grands hommes; à d'autres époques, il y a des pléiades de
chenapans.
Pourtant, ne pas confondre l'époque, la minute de Louis Bonaparte,
avec le dix-neuvième siècle; le champignon vénéneux pousse au pied
du chêne, mais n'est pas le chêne.
M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l'argent, l'agio, la
banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui
passent si facilement d'un bord à l'autre quand il n'y a à enjamber que
de la honte. Il a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une
bouchée, de M. de Montalembert un complice, du pouvoir une caverne,
du budget sa métairie. On grave à la Monnaie une médaille, dite
médaille du 2 décembre, en l'honneur de la manière dont il tient ses
serments. La frégate la Constitution a été débaptisée, et s'appelle la
frégate l'Élysée. Il peut, quand il voudra, se faire sacrer par M. Sibour
et échanger la couchette de l'Élysée contre le lit des Tuileries. En
attendant, depuis sept mois, il s'étale; il a harangué, triomphé, présidé
des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue; il s'est
épanoui dans sa laideur à une loge d'Opéra, il s'est fait appeler
prince-président, il a distribué des drapeaux à l'armée et des croix
d'honneur aux commissaires de police. Quand il s'est agi de se choisir
un symbole, il s'est effacé et a pris l'aigle; modestie d'épervier.
VII
POUR FAIRE SUITE AUX PANÉGYRIQUES
Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des
panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant,
c'est que dans toutes les qualités qu'on lui reconnaît depuis le 2
décembre, dans tous les éloges qu'on lui adresse, il n'y a
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